Avec le recul, la gaffe politique du PDG d'EDF, Pierre Gadonneix, prend sa véritable dimension: il a juste commis l'erreur de vendre la mèche à l'opinion publique.
Car derrière les 1,9% de hausse de tarifs de l'électricité – une hausse raisonnable comme l'a soutenu avec aplomb la ministre des finances, Christine Lagarde –, se cache en fait une révolution
tarifaire que le gouvernement n'a pas le courage politique d'assumer. En pleine crise, il met à bas une partie du système français. A la lecture de leurs prochaines factures, de nombreux
ménages vont commencer à mesurer l'ampleur de la cachotterie. Pour eux, les augmentations pourraient s'élever à 6% voire 10% par an. Dans la droite ligne des 20% de hausses sur trois
ans demandés par Pierre Gadonneix.
Tout s'est concocté dans la plus grande discrétion. Sans débat public, sans la moindre concertation, le gouvernement a entrepris dans le secret de ses cabinets de rebâtir tout le système tarifaire régulé de l'électricité en France. L'objectif officiel de cette refonte est de mieux prendre en compte, comme le demandait la Commission de régulation de l'énergie (CRE) les coûts réels de transport et de distribution, afin d'augmenter les tarifs et de favoriser une meilleure concurrence en France. En sous- main, il s'agit en fait de la pierre angulaire du nouveau système visant à en finir à plus ou moins brève échéance avec les tarifs régulés.
Pour comprendre l'ampleur des changements, il faut se reporter aux années précédentes. L'an dernier, trois lignes seulement avaient suffi dans le Journal officiel du 14 août 2008 pour donner les augmentations des principaux tarifs d'électricité, ceux pour les particuliers augmentant alors de 2%. Cette année, il n'y a pas moins de vingt pages dans le journal officiel du 14 août détaillant les différents tarifs pour les particuliers, les professionnels, les entreprises, les prix outre-mer , ou les tarifs entre les heures creuses et heures pleines. Une remise à plat totale.
Il faudra du temps pour pouvoir mesurer la portée réelle des modifications apportées à un système tarifaire par nature complexe , et aujourd'hui volontairement obscurci. Des tarifications ont été supprimées, les modes de calcul pour d'autres ont été totalement révisés. Mais les changements apportés au système de base pour les particuliers donnent déjà un petit aperçu de ce qui se prépare. Ainsi le prix de l'abonnement (hors taxes) pour les plus petites installations (3 kVA) passe de 21,48 euros à 58, 42 euros, soit 172% d'augmentation. Pour EDF, ces petits compteurs coûtent cher. De plus, rappelle-t-il, ils ne représentent que 8% de l'électricité consommée.
Mais il en va de même pour les abonnements pour la puissance juste supérieure (6kVA) qui forme une bonne partie des abonnements des particuliers ne se chauffant pas à l'électricité: ils passent de 54,48 euros à 67, 47 euros, soit 24% de hausse. On est très loin de l'esprit de la charte de service public signé en 2005 entre l'Etat et EDF qui stipulait que les prix ne devaient pas dépasser l'inflation. Mais le gouvernement ne semble guère tenu par la signature de l'Etat.
Dans son avis sur cette réforme tarifaire, la CRE d'ailleurs ne le cache pas. «Les tarifs bleus résidentiels de petites puissances (3 et 6 kVA) connaissent des augmentations de facture d'autant plus élevées que la consommation du site est faible (plus de 10 % sur des consommations inférieures à 1 000 kWh)», reconnaît-elle. En revanche, remarque-t-elle, «la facture baisse d'autant plus que la consommation s'élève». De fait, les abonnements de base pour des puissances élevées diminuent de 15%, quand le prix de kWh pour ces catégories augmente à peine. En clair, le gouvernement a délibérément choisi d'imposer les plus faibles, ceux qui consomment le moins, particuliers comme petites entreprises, au profit des plus gros, dans un calcul parfaitement cynique, au mépris de la crise.
Selon les premières estimations de la CRE, cette réforme tarifaire pour les particuliers et les toutes petites unités professionnelles devrait se traduire par une baisse allant jusqu'à 15% pour 22% des sites qui ont souscrit à de tels abonnements. Pour les 78% restants, la hausse serait de l'ordre de 2 à 15% – une grande majorité étant entre 2 et 6% –, ce qui représente un surcoût annuel de 20 à plus de 60 euros. Au total, 3 millions de sites pourraient subir des augmentations supérieures à 10% et 1,5 million au-delà de 15%.
Le même mouvement se confirme pour les tarifs industriels: les petits vont payer pour les gros, comme le confirme l'avis de la CRE. «Les baisses de facture les plus importantes sont concentrées sur les sites ayant de fortes consommations. Les hausses de facture les plus importantes concernent essentiellement les clients à faible consommation.» Manifestement, le gouvernement et en particulier le ministère de l'écologie qui a supervisé tout le processus tarifaire, n'a pas vu de contradiction entre ce dispositif et le Grenelle de l'environnement. Le thème des économies d'énergie reste pour les estrades publiques.
Mais ce n'est pas la seule aberration du système. Alors que EDF est désormais importateur net d'électricité, connaît de grandes difficultés à fournir l'ensemble du réseau en périodes de pointe en hiver, il a décidé de revoir sa politique sur les tarifs dit d'effacement (EJP). Lors de période de pointe, certains gros consommateurs acceptent de ne plus utiliser d'électricité – de s'effacer du réseau – en contrepartie, ils disposent de prix privilégiés le reste du temps. EDF semble juger aujourd'hui que ce système lui est préjudiciable: les tarifs EJP vont donc augmenter de plus de 6% afin de dissuader les nouveaux candidats. EDF explique qu'il lui fallait revoir ces tarifs qui ne reflétaient pas la réalité des coûts de transport et de distribution. Mais cela ne change en rien, assure-t-il, sa politique pour les économies d'énergie.
Vers un démantèlement des tarifs régulés.
Qui a imaginé ce nouveau système? Quel responsable politique l'a supervisé? Pour l'instant tout le monde se cache derrière la technicité de la question pour ne pas en revendiquer la responsabilité, en espérant que tout s'oublie. L'édifice qui se construit sous nos yeux, toutefois, est tout sauf innocent. Car c'est bien la fin des tarifs régulés qui sous-tend toute cette révision.
Il faut s'y préparer, soutient le gouvernement, en rappelant que les tarifs régulés sont prévus par la loi jusqu'en 2010. Mais
contrairement à ce qu'il dit, le système régulé n'est pas interdit par la Commission européenne.