Un seul retenu du Centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes manquait toujours à l’appel lundi après l’incendie qui a détruit ses deux bâtiments dimanche, a indiqué la Préfecture de police (PP) après un nouveau recomptage.
«Un seul retenu manque à l’appel, après le comptage des étrangers», a déclaré la porte-parole de la PP, Marie Lajus, lors d’un point presse sur place. Dimanche soir, la PP avait parlé d’une cinquantaine d’étrangers en fuite avant de revenir à un bilan de 14 personnes manquantes lundi matin.
Mme Lajus a reconnu un «flottement» dans les opérations de comptage dimanche soir parlant d’une «opération difficile et complexe, dans le cadre d’une situation d’urgence».
Les retenus manquants étaient «soit au tribunal soit transférés à l’Hôtel-Dieu» parce qu’ils avaient été intoxiqués par les fumées de l’incendie qui a entièrement ravagé le CRA. «Deux retenus sont en garde à vue depuis hier (dimanche) soir» dans l’enquête sur l’incendie, a-t-elle ajouté. Par ailleurs, «cinq d’entre eux ont été libérés entre dimanche et lundi» après examen de leur dossier.
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AFP, 23 juin 2008.
Témoignage d’un retenu sur la mort de leur camarade samedi
Ce témoignage de retenus a été retranscrit hier, suite à une communication téléphonique avant la rebellion au cra 1 et 2. Il montre dans quelles «conditions» le Tunisien est mort, et avec quelle «violence» les retenus ont pu le vivre. L’État aura beau s’acharner à affirmer que ce sont les manifestants à l’extérieur qui sont responsables des événements d’hier, il n’arrivera pas à supprimer la légitimité des révoltes des retenus face à l’injustice de leur enfermement. Fermeture de tous les centres de rétention.
«Le monsieur qui est mort hier dans le centre n’était pas cardiaque. Avant de rentrer au centre il prenait déjà des médicaments tous les jours, il avait une ordonnance du médecin. Il était dans un état psychiatrique, il disait qu’il voulait aller à l’hôpital psychiatrique. Il demandait des médicaments et on voulait pas lui en donner, l’infirmière lui donnait pas sa dose, il demandait à d’autres retenus d’aller à l’infirmerie pour demander sa dose. Si le médecin lui avait donné sa dose il serait encore parmi nous aujourd’hui.
La veille du jour où il est mort, il tremblait beaucoup, il savait pas pourquoi, il se sentait malade. Peu de temps avant de mourir, il a décidé de faire une sieste et a demandé à son copain russe de le réveiller pour qu’il puisse aller à l’infirmerie qui ouvre à 15 heures. Son copain est venu une première fois, il a essayé de le réveiller, son visage était tourné vers le mur, on voyait pas très bien. Il a cru qu’il dormait profondément et il a préféré le laisser dormir. Dix minutes après il est revenu, ça s’est passé pareil. Du coup il est allé cherché un autre retenu, et tous les deux ils ont essayé de le réveiller, ils lui ont tourné la tête, il avait du sang sur le nez et la bouche, il était bleu turquoise, il était tout dur, tout raide, froid.
Ils ont crié au secours, tout le monde est venu. La police a essayé d’évacuer le lieu, les retenus exigeaient de savoir ce qui se passait. Panique totale. Les policiers ont demandé des renforts, ils sont venus avec des boucliers, ils ont tapé les gens dans le couloir, nous on a pas pas répondu (de toute façon y a pas de pierres dans le couloir avec lesquelles on aurait pu répondre), on a quand même été gazé. J’étais devant la porte, j’ai pris le gaz dans les yeux. Le chef de permanence a aussi pris le gaz en plein visage. Il était tout rouge.
Alors la police a bloqué toutes les allées pour empêcher d’accéder aux chambres. Ils ont bloqué les portes coupe feu, ils ont essayé de faire une barricade. Les CRS étaient dans la cour. J’ai demandé à parler au chef avec des camarades. Ils ont autorisé quatre personnes à aller voir le chef. On lui a dit : “On veut en savoir un peu plus sur l’état du retenu pour pouvoir calmer la population”. Le chef nous emmené dans le réfectoire pour discuter, il nous a dit : “La priorité c’est de s’occuper du retenu qui va pas bien”. Il a promis de nous informer. Deux heures après, toujours rien. Les gens se sont alors agités près de la porte no 1, un retenu s’agitait plus que les autres, les policiers nous ont chargé mais ils avaient une cible, ils ont pris le retenu agité et ils sont rentrés avec lui.
J’ai encore parlé au chef : “Vous envenimez la situation au lieu de la calmer, il faut relâcher le retenu pour calmer la situation”. Le chef a dit que comme il était agité on allait le mettre en isolement et si possible on le relâchera sain et sauf, il a promis de rien lui faire. J’ai promis au chef de calmer les autres. J’ai dit aux autres qu’il fallait pas tomber dans la provocation, qu’il fallait se calmer. Celui en isolement a été relâché deux heures après.
On a voulu avoir le nom du policier qui nous a gazé pour porter plainte contre lui mais ils n’ont pas voulu nous le donner.
Au va et viens des policiers et des pompiers on a compris qu’ils n’avaient pas pu le sauver. J’ai demandé au chef permanent, il m’a dit que le monsieur était dans un état critique, mais qu’il était en vie. Il n’a pas voulu nous dire qu’il était mort pour ne pas avoir des représailles.
Le chef de rétention (il était en civil) essayait de téléphoner mais comme il y a un problème de réseau dans le bâtiment, il est sorti dans la cour pour téléphoner. Je suis allé le voir, je lui demandé de m’accorder deux minutes, il a dit oui. On voulait savoir l’état de santé du retenu, il m’a sorti le même refrain comme quoi son état était critique, mais qu’il était en vie. Je suis resté sceptique.
Les deux camarades du mort ont été appelés pour faire un témoignage comme quoi quand ils l’ont vu dans son lit il était déjà mort, raide. Les policiers préparaient déjà leur défense. C’est contradictoire parce que les policiers disaient toujours qu’il était vivant. Ils ont fait signer un procès verbal aux retenus comme quoi quand ils sont arrivés il était déjà mort.
De l’autre côté, du côté de la porte 3, la population s’est agitée, les policiers ont pris un retenu qui était très agité, la population s’est alors encore plus énervée, du coup la police a relâché le retenu. Quand ils ont sorti le retenu mort avec le samu et les pompiers, j’ai encore parlé avec le chef qui me disait encore qu’il était vivant. Et puis on nous a dit qu’il était mort à l’hôpital.
Un des deux retenus qui a découvert son camarade mort a parlé avec un policier, même lui a reconnu qu’il était mort dans la chambre. Pourtant, depuis 16 heures, où on l’a retrouvé mort, jusqu’à 21 heures il est resté ici. Pendant tout ce temps en fait ils étaient en train de prendre des photos, de discuter avec le commissaire…
Et puis le centre a pris feu dans une chambre. C’est une chambre qui est près de la salle qu’on nous a réservée pour faire nos prières. C’était quand on savait que c’était fini pour lui. Les policiers ont éteint avec des extincteurs, les pompiers sont venus. Tout a brûlé dans la chambre, les Chinois qui dormaient dedans ont perdu tous leurs effets personnels. Les chambres 1 à 11 étaient bloquées, ça a brûlé du coté de la chambre 20. Je ne sais pas s’il y a eu des représailles ou si on sait pas qui a mis le feu, moi j’étais de l’autre côté.
Aujourd’hui les policiers veulent pas parler de ce sujet, ce n’est pas les mêmes qui étaient là hier soir, ils ont changé d’équipe. J’ai parlé hier par téléphone avec un retenu du CRA1, ils ont manifesté aussi là bas leur mécontentement.»
Après l’incendie du centre de rétention de Vincennes, l’UMP met en cause RESF
Pour un porte-parole du parti, «il n’est pas tolérable que des “collectifs”, type Réseau Éducation Sans Frontières, viennent faire des provocations aux abords de ces centres au risque de mettre en danger des étrangers retenus». Deux bâtiments ont été détruits par l’incendie et quatorze personnes manquent à l’appel.
Au lendemain de l’incendie du centre de rétention administrative de Vincennes, un des porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre a critiqué lundi 23 juin l’action de collectifs comme RESF qui se livrent à «des provocations (…) au risque de mettre en danger des étrangers retenus».
«Il n’est pas tolérable que des “collectifs”, type RESF (Réseau Éducation Sans Frontières) viennent faire des provocations aux abords de ces centres au risque de mettre en danger des étrangers retenus», a-t-il déclaré dans un communiqué.
«L’UMP demande que dans l’affaire de Vincennes toutes les conséquences soient tirées, y compris au plan judiciaire, si la responsabilité de membres de collectifs comme RESF était avérée», a-t-il ajouté, soulignant que «les départs de feu volontaires auraient pu faire des victimes».
«Semer le désordre»
«L'UMP demande la plus grande fermeté contre les collectifs qui se livrent à ce type d’actions à proximité de lieux où ils n’ont absolument rien à faire», a-t-il dit.
«Des associations humanitaires ont accès quand elles le veulent à toutes les étapes de la politique de reconduite des étrangers, la CIMADE dans les centres, la Croix Rouge à Roissy», a fait valoir Frédéric Lefebvre.
Selon lui, «la plus grande transparence étant pratiquée dans notre pays, raison de plus pour ne pas tolérer que des associations comme RESF viennent semer le désordre au risque de déclencher des émeutes et des actes irréparables».
Les deux bâtiments du centre de rétention administrative de Vincennes, le plus grand de France, ont été détruits dimanche dans un incendie provoqué par des personnes retenues dont quatorze manquent toujours à l’appel.
Le Nouvel Observateur, 23 juin 2008.
La réponse du réseau
Dans un communiqué à l’AFP, le député Frédéric Lefbvre met en cause la présence de manifestants, dont des militants du RESF, devant le centre de rétention de Vincennes au moment où le feu prenait dans cette prison administrative pour étrangers. Il condamne l’action de collectifs comme RESF qui se livrent à «des provocations (?) au risque de mettre en danger des étrangers retenus». Et voilà M. Lefbvre, héritier du siège de député des Hauts-de-Seine de M. Sarkozy, institué meilleur défenseur des étrangers retenus !
Le discours serait d’un comique vulgaire s’il ne visait à masquer une réalité dramatique : le sort réservé aux sans papiers par la politique du gouvernement que soutient M. Lefbvre qui les condamne à la terreur tant qu’ils sont libres, au désespoir complet quand ils sont internés et en attente de leur bannissement.
Un exemple pour parler clair : avant-hier, samedi a été expulsé vers la Côte d’Ivoire le père d’un enfant français âgé de 11 ans, déjà orphelin de sa mère. On en reparlera. Mais quand les centres de rétention sont pleins d’hommes et de femmes qui vivent de tels drames, certains moins lourds, d’autres pires encore, comment ne pas comprendre leurs gestes de désespoir, le plus souvent d’ailleurs retournés contre eux-mêmes, auto-mutilations ou tentatives de suicide. Ces désespérés n’ont assurément pas besoin de la présence de quelques militants pour être poussés à bout.
Au-delà de sa sottise, la réaction du parlementaire par héritage manifeste un regret : celui que les persécutions infligées aux sans papiers ne restent pas confinées dans le secret des commissariats, des préfectures et des centres de rétention. L’action de militants du RESF qui sont en réalité des enseignants, des parents d’élèves, de simples citoyens qui ne veulent pas laisser faire n’importe quoi, est effectivement un obstacle à la politique de brute voulue par M. Lefbvre et consorts. Il est inquiétant qu’un député se fasse le partisan de l’opacité sur les conditions des étrangers dont il se prétend le défenseur.
Ajoutons, pour en terminer, que son appel aux poursuites judiciaires contre le RESF reflète une volonté répressive. La police recherche, paraît-il, les «coupables» d’incendie volontaire. L’UMP qui n’hésite pas à ratisser large en matière de poursuites judiciaires quand il ne s’agit pas de ses membres, voudrait y inclure le réseau. C’est le coup classique du pyromane qui crie au feu et dénonce des innocents. Les responsables de l’incendie de Vincennes sont ceux que sert M. Lefbvre avec tant de reconnaissance : MM. Hortefeux et Sarkozy. Se défausser de ses responsabilités sur autrui ne sert à rien. À moins qu’il ne veuille refaire, à la nano échelle d’un Lefbvre, le coup de l’incendie du Reichstag ?
RESF, 23 juin 2008.
Six mois de lutte au camp de rétention de Vincennes