Collectif « Autres Chiffres Du Chômage »
26/02/07 - Note n°3
DES CHOMEURS EN DEFICIT
L’Unédic annonce pour 2007 un retour à de substantiels excédents. Mais la nouvelle
n’est pas bonne pour les chômeurs, car elle résulte d’une dégradation importante de
leurs droits : la proportion de demandeurs d’emploi indemnisés a reculé de près de sept
points depuis 2003. Moins d’un chômeur sur deux est aujourd’hui indemnisé par l’Unédic.
Le montant des allocations demeure faible, 80% du SMIC en moyenne ; les inégalités de
traitement entre chômeurs sont importantes, particulièrement au détriment des jeunes,
des précaires et des femmes. Depuis 1979, pas moins de six réformes ont
progressivement réduit les droits à indemnisation, et le RMI sert de plus en plus de
voiture-balai. Sur vingt-cinq ans, malgré la hausse considérable du chômage, le poids de
l’indemnisation du chômage dans le PIB tend à diminuer.
2
Fin 2006, 1,85 millions de chômeurs étaient indemnisés par les Assedic. Au même
moment le chiffre officiel du chômage1 s’élevait à 2,17 millions de personnes. Selon une
opinion courante, que ces chiffres pourraient paraître confirmer, la plupart des
chômeurs perçoivent une allocation. De là à dire qu’ils vivent confortablement aux
dépens de « ceux qui se lèvent tôt », il n’y a qu’un pas…
Pourtant en réalité, selon les statistiques de l’Unédic, seulement 47,5% des chômeurs
étaient indemnisés fin 2006 : moins d’un chômeur sur deux2.
Depuis 2003, la proportion des chômeurs qui reçoivent une indemnisation est en
chute libre
Le nombre de chômeurs indemnisés a diminué de 18,8% (- 429 000) entre fin 2003 et
fin 2006. Grâce à la baisse du chômage ? Pas seulement. Le nombre d’inscrits à l’ANPE
n’a diminué que de 8% sur la même période. Après une amélioration substantielle entre
2000 et 2003 (cf. fiche 1), le taux de couverture de l’assurance chômage est en chute
libre sous l’impact de la réforme initiée au début 2003: il est passé de 54% en novembre
2003 à 47,5% en novembre 2006, soit le plus bas niveau depuis 5 ans. Et ce taux serait
encore plus bas si l’on comptabilisait au dénominateur les chômeurs qui ne s’inscrivent ou
ne se réinscrivent pas à l’ANPE (cf. « Chômeurs et chiffres sous pression », Note ACDC
n°2).
Graphique 1 : Depuis 2003, la proportion de chômeurs indemnisés est à nouveau en
baisse
1 DEFM de catégorie 1. Cf. « Des chômages invisibles », note ACDC n°1.
2 Significativement, pour calculer le taux de couverture de l’indemnisation du chômage (le pourcentage de
chômeurs indemnisés), l’Unédic elle-même rapporte le nombre de chômeurs indemnisés par les Assedic à
l’ensemble des personnes inscrites à l’ANPE . En d’autres termes, l’Unédic prend ainsi en compte presque
3
Les données financières de l’UNEDIC affichent une baisse tout aussi impressionnante :
les dépenses d’indemnisation ont diminué de 10,3% entre 2004 et 2006. En euros
constants, l’indemnisation moyenne est restée stable entre 2003 et 2005 et elle a très
légèrement augmenté en 2006. En comparaison du SMIC, l’indemnisation moyenne reste
faible, puisqu’elle ne représente qu’environ 80% du SMIC.
Au delà de cette moyenne, les inégalités entre chômeurs indemnisés sont mal connues :
on estime qu’aujourd’hui entre 30% et 40% des chômeurs indemnisés perçoivent moins
d’un demi-SMIC.
Graphique 2 : Le montant des indemnités reste faible pour les chômeurs qui y ont
droit
110
115
120
125
130
135
1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Indemnisation mensuelle moyenne par chômeur
en multiples du SMIC horaire brut
(RAC - moyenne par chômeur indemnisé)
Source : Unédic, calculs ACDC
Une couverture plus faible pour les jeunes, les femmes et les salariés les moins
qualifiés
La couverture par les allocations de chômage est plus faible pour les femmes que pour
les hommes : à tous les âges, les femmes sont moins souvent indemnisées que les
hommes. Les jeunes, hommes ou femmes, sont très peu couverts par l’indemnisation du
chômage, parce qu’ils ont peu ou pas de références de travail antérieures. L’écart entre
hommes et femmes est en revanche particulièrement important pour la tranche d’âge
40-49 ans3.
tous ces chômeurs « invisibles » évoqués dans la première note ACDC... ce qui montre bien le caractère
tronqué du chiffre officiel du chômage.
3 Ces taux incluent les prestations de solidarité.
4
Ces inégalités ne résultent évidemment pas d’une discrimination explicite de l’assurancechômage
à l’encontre des femmes : mais celles-ci ont, plus souvent que les hommes, des
emplois précaires ou des durées d’emploi courtes, ce qui les exclut fréquemment des
droits à indemnisation. Depuis 25 ans les réformes successives de l’Unédic ont en effet
progressivement durci les conditions d’accès pour les contrats précaires (cf. Fiche 1).
Graphique 3
A tous les âges, les femmes sont moins souvent indemnisées
20%
25%
30%
35%
40%
45%
50%
55%
60%
65%
70%
15-29 ans 30-39 ans 40-49 ans 50-59 ans Ensemble
% d'indemnisés
femmes
hommes
source: Enquête
Emploi 2005
Pour les mêmes raisons, les salariés les plus qualifiés bénéficient aussi davantage de
l’indemnisation du chômage. L’écart est d’environ 10 points entre les cadres et les
professions intermédiaires, d’une part, et les employés et les ouvriers, d’autre part.
Graphique 4
Les salariés les plus qualifiés sont plus souvent indemnisés
40%
45%
50%
55%
60%
65%
70%
cadres professions
intermédiaires
employés ouvriers
source: Enquête Emploi 2005
% d'indemnisés
5
Les filets de sécurité ont des mailles très larges
La majorité des chômeurs est donc aujourd’hui exclue du Régime d’assurance chômage.
Parmi ces exclus, seule une minorité perçoit une allocation du régime dit de
« solidarité » (Allocation de solidarité spécifique - ASS ; allocation d’insertion – AI4 ;
allocation équivalent retraite - AER). Les « bénéficiaires » de ces allocations
représentent environ 10% du total des demandeurs d’emploi.
Le niveau de ces prestations de « solidarité » est bien plus faible que les indemnités
versées par les ASSEDIC, pourtant déjà peu élevées. En 2006, le montant journalier de
l’ASS représente moins de 2 heures de salaire au SMIC horaire ; celui de l’AI, moins d’
1,3 heures.
Des prestations de « solidarité » qui portent mal leur nom
Depuis une vingtaine d’années, le niveau de ces prestations dites de « solidarité » a
décroché, que ce soit par rapport au SMIC (cf. graphiques en annexe) ou par rapport au
niveau moyen des allocations du régime d’assurance. En 1986, l’ASS moyenne
représentait plus de 60% de l’indemnité moyenne accordée par les ASSEDIC : elle
représente moins de 50% en 2006. L’AI est passée de plus de 50% de l’indemnité
ASSEDIC moyenne en 1986 à moins de 35% en 2006.
Après les mouvements de chômeurs de l’hiver 1997-1998, le gouvernement avait
revalorisé ces prestations de solidarité (tout en durcissant les conditions d’accès, cf.
fiche 1). Mais depuis 2002, le pouvoir d’achat de ces prestations a recommencé à
s’éroder. Globalement, le niveau de l’ASS et de l’AI est aujourd’hui inférieur, en pouvoir
d’achat, à ce qu’il était il y a vingt ans, en 1986.
En fait, avec les restrictions successives du régime d’indemnisation, de plus en plus de
chômeurs se retrouvent aujourd’hui au RMI. Le RMI est devenu le dernier maillon de
l’indemnisation du chômage. Après la réforme de 2003, le nombre d’allocataires du RMI
a recommencé à croître (cf. graphique ci-dessous). La stabilisation observée en 2006
traduit la légère amélioration sur le front de l’emploi.
4 Depuis le 16 novembre 2006, l'allocation d'insertion (AI) est remplacée par l'allocation temporaire
d'attente (ATA).
6
Graphique 5 : les exclus de l’indemnisation viennent gonfler les rangs des RMIstes
0
200000
400000
600000
800000
1000000
1200000
1400000
1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005
Nombre d'allocataires du RMI en fin d'année
Source : CNAF, DREES
Le niveau mensuel du RMI pour une personne seule, déjà peu élevé lors de son
instauration en 1989, a considérablement baissé depuis en termes relatifs. En 2006, le
RMI pour une personne seule représente chaque jour environ 1,8 heures de travail au
SMIC horaire, contre 2,3 heures au moment de sa création en 1989, soit un décrochage
de 22%. En outre, il ne concerne que les personnes de 25 ans et plus : les jeunes
chômeurs non indemnisés sont, pour la plupart, écartés de cette prestation5. Rappelons
enfin que, par rapport aux autres pays européens, le niveau du revenu minimum reste
particulièrement faible en France6.
Moins indemnisés, de plus en plus de chômeurs…travaillent
Avec une indemnisation de plus en plus faible – ou inexistante- les chômeurs sont de plus
en plus contraints d’accepter des « petits boulots » pour joindre les deux bouts.
L’extension des possibilités de cumul entre l’indemnisation et le salaire a favorisé ce
mouvement. Suite aux restrictions apportées par la réforme de 2003 (cf. fiche 1), la
proportion de ces chômeurs-travailleurs, qui stagnait depuis 2000, a repris sa
croissance pour atteindre aujourd’hui un niveau record. Aujourd’hui, chaque mois,
environ un chômeur sur trois a exercé une activité rémunérée.
5 Seules les personnes ayant charge d’enfant peuvent percevoir le RMI avant 25 ans.
6 Antoine Math, « Cibler les prestations sociales et familiales en fonction des ressources. Eléments de
comparaison européenne », Revue de l’IRES n°41, 2003-2.
7
Bref, les chômeurs sont de plus en plus pris en tenaille entre une indemnisation qui se
restreint et un marché de travail de plus en plus précaire. Ce qui les contraint à
accepter des emplois dégradés ; ce qui contribue aussi, plus généralement, à faire
pression sur l’ensemble des salariés.
Graphique 6 : Les chômeurs de plus en plus contraints de prendre des « petits
boulots »
5
10
15
20
25
30
35
juin-
92
juin-
93
juin-
94
juin-
95
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96
juin-
97
juin-
98
juin-
99
juin-
00
juin-
01
juin-
02
juin-
03
juin-
04
juin-
05
juin-
06
Pourcentage de chômeurs en "activité réduite"
Source : ANPE
Le chômage augmente, mais son indemnisation coûte de moins en moins cher
Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE a augmenté d’environ 80% depuis
25 ans7. Ces chiffres ne prennent pas en compte les préretraités qui, de la même façon
que les chômeurs « dispensés de recherche d’emploi », sont privés d’emploi mais non
comptabilisés dans la statistique du chômage. Le nombre des préretraités est passé de
plus de 400 000 en 1982 à plus de 700 000 en 1984 avant de diminuer régulièrement :
aujourd’hui, selon les statistiques du ministère du travail, moins de 100 000 personnes
sont en « préretraite totale ». Si l’on additionne ces deux catégories (demandeurs
inscrits à l’ANPE plus préretraités), le nombre des personnes « privées d’emploi » a
augmenté de plus de 55% en 25 ans.
Malgré cette hausse considérable, la part du PIB consacrée aux prestations de chômage
a eu tendance à diminuer depuis 25 ans (cf. graphique ci-dessous). Les dépenses
consacrées au chômage augmentent quand la conjoncture se détériore, ce qui donne lieu
à des effets cycliques de court terme. Mais sur longue période, la tendance à la baisse
des dépenses consacrées au chômage est très nette.
7 Le total des demandeurs d’emploi (yc DOM, hors catégories 4 et 5) est passé de 2,28 millions en octobre
1981 à 4,08 millions en octobre 2006 (cf. la note ACDC n°1).
8
Graphique 7 : le poids financier des prestations de chômage tend à diminuer
1,2
1,4
1,6
1,8
2,0
2,2
1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Dépenses de prestation chômage en % du PIB
(assurance, solidarité, préretraites)
Source : UNEDIC, Comptabilité Nationale Insee ; calculs ACDC.
Une étude récente de la DREES confirme ces résultats8. Autrement dit, le nombre de
chômeurs augmente, mais l’effort financier consacré à leur indemnisation ne cesse de
diminuer.
8 Laurence Boone, Christel Gilles, « Une évaluation du rôle stabilisateur des dépenses d’assurance-chômage
en France », Document d’étude, DREES, n°65, Décembre 2006,
http://www.sante.gouv.fr/drees/serieetudes/pdf/serieetud65.pdf (voir le graphique 1).
9
FICHE 1
L’INDEMNISATION DU CHOMAGE :
BREF HISTORIQUE D’UNE DEGRADATION ANNONCEE
Les données présentées dans cette note ne peuvent s’interpréter qu’en référence aux
nombreuses évolutions réglementaires qu’a connu l’indemnisation du chômage depuis sa
création. Ces réformes, en général prises à la « faveur » de graves crises financières du
régime, sont allées le plus souvent dans le sens d’une restriction croissante des
conditions d’accès à l’indemnisation et d’une baisse des durées d’indemnisation ; les
maigres améliorations apportées lors des embellies économiques n’effaçant jamais les
dégradations antérieures.
1958-1974 : l’émergence de l’assurance chômage
Le régime d’assurance-chômage (Unédic) voit le jour en décembre 1958, sous l’impulsion
du gouvernement, avec l’accord des partenaires sociaux (sauf la CGT qui voulait en faire
le 4e pilier de la sécurité sociale). Dès les origines, il s’agit à la fois de limiter les pertes
de revenus pour les salariés victimes des restructurations qui s’annonçaient après le
Traité de Rome, et de favoriser la mobilité de la main d’oeuvre en poussant à la reprise
d’emploi rapide.
Jusqu’en 1979, deux types d’allocation co-existent. D’une part, l’allocation d’assurancechômage
d’un montant proportionnel au salaire brut antérieur, dans la limite d’un plafond
et avec un minimum garanti. À l’origine, le taux d’indemnisation est de 35 % du salaire
brut, versé pendant 9 mois, puis 30 % jusqu’à 12 mois, donc avec une légère dégressivité.
En 1967, le taux de 35 % sera majoré à 40,25 % pendant les trois premiers mois, puis
35 % jusqu’à 12 mois (et plus pour les salariés âgés de plus de 50 ans). D’autre part, une
allocation publique d’un montant forfaitaire soumis à conditions de ressources et