Privés de carnaval, les Martiniquais ont fait monter la tension d'un cran, mardi 24 février, à Fort-de-France, selon un schéma voisin de celui de la Guadeloupe, voilà quelques semaines. La nuit a été émaillée d'échauffourées entre des jeunes et les forces de l'ordre. Plusieurs magasins ont été pillés. Des barrages enflammés ont coupé plusieurs grandes artères de la ville. Un coup de fusil a été tiré, sans faire de victime.
Dans la journée, quelque 2000 manifestants avaient encerclé la préfecture, aux cris de "Négociez, négociez !", tantôt secouant les grilles, tantôt dansant aux rythme des tambours et reprenant en cœur des mélopées.
A la mi-journée, les représentants du patronat qui voulaient sortir pour passer à table, ont été contraints par force de rester à celle des négociations.
Dans la soirée, l'ambiance est devenue survoltée : pneus brûlés, poubelles incendiées et caillassage de la préfecture. Vers 18 heures, une quinzaine de jeunes masqués, armés de barres de fer, de pneus et de bidons d'essence ont fait irruption dans les jardins, repoussés par le service d'ordre du "Collectif du 5 février 2009", qui mène le mouvement social.
Il a fallu plusieurs suspensions de séance, avant que les discussions ne reprennent, entre le Collectif et les élus locaux, puis entre ceux-ci et les patrons.
La Martinique fait encore le grand écart. Les syndicats demandent 354 euros d'augmentation pour tout le monde, alors qu'au bout d'une nuit de négociation, le patronat a proposé des hausses entre 10 et 60 euros mensuels. Les discussions doivent reprendre jeudi.
La journée de mercredi est attendue avec inquiétude. Le 25 février, mercredi des Cendres, on brûle et on pleure le roi du Carnaval. "Mais ce n'est pas Vaval qui va brûler demain, pronostiquait un manifestant, c'est la préfecture".
Discussions en sous-main en Guadeloupe
En comparaison, la Guadeloupe est restée étrangement calme, mardi. Pas de petit hélicoptère rouge et jaune pour débarquer, comme d'habitude, le préfet et ses deux médiateurs - affublés en douce autour de la table de négociations du sobriquet "les médiums". Pas de tambours à la capitainerie, ni de grand meeting à la Mutualité. Les discussions ont eu lieu en sous-main, sur la base de solutions imaginées entre Guadeloupéens et non par "la France", comme on dit ici.
Le LKP a refusé d'emblée, comme le proposait François Fillon, de mélanger les revenus du travail et les prestations sociales (le RSA) pour parvenir aux 200 euros demandés. Il y est d'autant plus opposé qu'il a en mémoire le précédent fâcheux de 1975. L'allocation de parent isolé, appelée par les Guadeloupéens allocation de femme seule", créée par Valéry Giscard d'Estaing, a fait des dégâts considérables dans cette société matriarcale. Peu de couples y ont résisté. Car bon nombre de femmes ont eu des enfants de pères différents pour cumuler les allocations.
Le Collectif a également récusé les fourchettes d'augmentation proposées par le gouvernement - de 50 à 120 euros - le patronat s'accrochant au prix plancher. La solution à l'étude est celle des petits entrepreneurs de l'UCEG (Union des chefs d'entreprise de Guadeloupe), à laquelle se sont ralliées toutes les autres organisations patronales sauf le Medef.
Ces petits patrons ont les reins moins solides que d'autres, pas d'assurances ni de provisions pour des grèves, et hâte que le conflit se termine. Ils proposent un système transitoire, applicable sur trois ans, concernant 40 000 salariés qui touchent actuellement jusqu'à 1,4 smic : 50 euros accordés par les patrons, 50 euros venant des collectivités locales et le reste de l'effort consenti sous forme d'une exonération de la CSG et de la CRDS.
Elie Domota, Jean-Marie Nomertin et quelques autres leaders du LKP sont partis en trombe de la Mutualité, vers midi, pour boucler l'accord avec les collectivités locales.
De son côté, le Medef, propose une augmentation qui n'excèderait pas 90 euros, intégrant les primes et le 13e mois. Ce qui rend inéligible au dispositif un grand nombre de bas salaires. Provocation aux yeux du LKP, le Medef exige par ailleurs que les salaires soient gelés jusqu'en 2010.
"On laisse passer le carnaval et on va resserrer les boulons", menace un membre du LKP. Alors que les représentants des collectivités locales doivent rencontrer le premier ministre à Paris, jeudi, l'Etat avait décidé mercredi, de jouer la politique de la chaise vide à Pointe-à-Pitre et d'annuler pour le deuxième jour consécutif la réunion plénière de négociations. Un mercredi de cendres.
Béatrice Gurrey et Benoît Hopquin
Le Monde, 25 février 2009