Une possibilté de lire le texte intégral de la revue la guerre sociale sur
infokiosque.net
LE SABOTAGE ET LES HOMMES D’ORDRE
(16 juin 1909)
Le citoyen Prosper Ferrero est, si nous ne nous trompons pas, député socialiste du Var. Dans Le Petit Var, organe républicain socialiste
quotidien, il flétrit avec éloquence le sabotage des lignes :
« Dans la Guerre Sociale, Hervé se félicite de ce que les saboteurs ont coupé des lignes télégraphiques le long des voies ferrées. On imagine les
catastrophes de chemin de fer que de pareilles pratiques peuvent amener. Hervé s’en préoccupe fort peu. »
Hervé s’en préoccupe au contraire beaucoup. L’Organisation révolutionnaire secrète [26] qui a organisé le sabotage, de l’aveu des journaux de la bourgeoisie, a même bien recommandé de ne pas
toucher aux lignes télégraphiques et téléphoniques qui protègent la sécurité des trains.
Les saboteurs doivent d’ailleurs tous savoir que, le long des voies ferrées, les deux ou trois lignes du bas seules appartiennent aux compagnies de chemin de fer et que toutes les autres, placées
au-dessus, appartiennent aux lignes de l’État : et la meilleure preuve, c’est qu’il n’y a eu aucun accident de chemin de fer.
« Pour lui, cet acte est le commencement du chambardement anarchique qu’il rêve. »
Nullement.
Ce sont simplement des représailles pour venger les 650 révoqués des Postes... et une gymnastique révolutionnaire pour détraquer le système nerveux de la société bourgeoisie, le jour où il sera
utile à la cause révolutionnaire de le détraquer complètement.
« Si la propagande socialiste n’avait pas d’autre moyen d’action que le sabotage des fils télégraphiques, il est probable que le résultat atteint serait diamétralement
opposé à celui qu’on cherche. »
Le sabotage n’est pas un moyen de propagande socialiste ; c’est un acte de vengeance, un acte de guerre sociale.
On peut être un saboteur accompli, et en même temps un bon propagandiste, par la plume et la parole, de l’idéal socialiste.
L’un n’empêche pas l’autre.
« Pour quiconque réfléchit, il est des sabotages odieux. Ceux qui risquent de compromettre les vies humaines le sont particulièrement. Certaines méthodes de lutte sociale
sont antipathiques au grand public. Les bombes tuant stupidement à droite et à gauche, coupables et innocents, amis et ennemis, ont excité une réprobation générale, les anarchistes français y ont
renoncé, se contentant de répandre journaux et brochures, ce qui est infiniment moins dangereux. Ils préconisent encore le sabotage qui, parfois, peut avoir des conséquences redoutables pour un
tas de pauvres diables n’ayant rien à voir dans la bataille engagée par les révolutionnaires contre la société. »
Le sabotage des lignes télégraphiques et téléphoniques de l’État ne risque de compromettre aucune vie humaine.
Ferrero, très jésuitiquement, feint de croire que les révolutionnaires tiennent plus que lui à faire dérailler les trains !
« Nous ignorons quels sont les individus qui coupent les lignes télégraphiques, mais nous voyons bien que leur geste rend au gouvernement le plus signalé
service. »
Comme récompense de ce signalé service, le gouvernement fait perquisitionner ceux qu’il soupçonne de sabotage, en attendant qu’il les fasse emprisonner.
« Il serait singulièrement imprudent de dire que Clemenceau a invité des équipes d’ouvriers des lignes à mettre bas les fils. »
Ce ne serait pas de l’imprudence, ce serait de la niaiserie, digne de notre mère l’oie L’Humanité ou du citoyen Pauron.
« On se demande pourtant quel but peuvent poursuivre ceux qui opèrent sur toute la surface du territoire, au sommet des poteaux, cisailles en main. »
Nous ne sommes pas dans le secret des dieux... ni des saboteurs... Mais il est visible que leur but est de venger les 650 révoqués des postes, de troubler dans ses affaires et dans ses plaisirs
la classe riche et aisée qui, seule, se sert beaucoup du télégraphe et du téléphone... classe qui a applaudi aux exécutions des postiers. Peut-être aussi leur but est-il de se faire la main, de
s’entraîner pour le jour où le sabotage des fils serait une nécessité révolutionnaire, par exemple, comme dit, paraît-il, l’instruction sur le sabotage, en cas de menace de guerre.
« La grève des PTT est terminée, impossible de la galvaniser. La grève générale n’a pu s’organiser. Il semble que les travailleurs devraient s’organiser pour les luttes
futures, et que les engagements d’arrière-garde devraient cesser sous peine de donner plus de force à l’ennemi. »
Ces engagements d’arrière-garde n’empêchent nullement la masse des travailleurs de s’organiser pour les luttes futures : ceux qui livrent ces engagements d’arrière-garde en ce moment seront
probablement ceux qui seront comme toujours à l’avant-garde le jour des batailles prochaines.
La peur du sabotage
Le plumitif qui a rédigé dans un quotidien de l’Ouest, La Charente — journal qu’un de nos lecteurs nous envoie —, un véhément article de tête
portant pour titre virulent : « Actes abominables », exagère quelque peu : « Fanfaronnades à part, nous sommes donc entrés dans une nouvelle phase de
l’action révolutionnaire. Battus sur le terrain de la grève générale, où l’immense majorité de la classe ouvrière a refusé de les suivre, les anarchistes ont entrepris la destruction régulière et
méthodique des lignes et des commandes de signaux sémaphoriques sur les voies ferrées. »
Mais non ! mais non ! il ne s’agit que des fils télégraphiques et téléphoniques appartenant à l’Etat, et de ceux-là seuls !
« Sous prétexte de "sabotage", ils se livrent à de véritables attentats, dont la conséquence pourrait être la mort de milliers de personnes innocentes et totalement
étrangères aux débats économiques ou politiques en raison desquels ces messieurs de la CGT croient urgent de faire dérailler les trains. »
C’est toi qui déraille ! La CGT n’est absolument pour rien dans le sabotage des fils télégraphiques !
« Nous reconnaissons que la réparation de ces tentatives criminelles est difficile. »
Je te crois.
« D’abord, parce que les auteurs procèdent avec une extrême prudence et se dissimulent dans l’ombre, avec un soin infini. Ces gens, qui font si peu de cas de la vie des
autres, ont un profond respect pour leurs précieuses personnes et s’arrangent toujours de façon à courir le minimum de risques. »
S’ils s’y prenaient autrement, ce seraient des imbéciles.
« D’une part, il serait presque impossible de les pincer sur le fait parce qu’on ne peut organiser une surveillance générale et permanente des lignes télégraphiques et des
voies ferrées. »
C’est évidemment plus facile de sabrer de paisibles manifestants désarmés dans une plaine, comme à Villeneuve-Saint-Georges.
« Un journal parisien a proposé un moyen de venir à bout des fous furieux qui se croient à peu près sûrs de l’impunité, ce serait de promettre des primes élevées à ceux qui
les feront prendre. Ce n’est pas très noble, ce n’est pas très chevaleresque, ce n’est pas très français, observe notre confrère, mais vous voulez rire ? Est-ce que ces bandits se soucient
de noblesse quand ils ruinent l’outillage qui sert à faire vivre tout le monde ? Est- ce qu’ils sont chevaleresques et français quand ils essaient d’écraser sous les débris d’un train des
centaines de pauvres diables, de femmes et d’enfants ? Il n’y a aucun scrupule à avoir avec de lâches assassins comme ces gens-là. »
Décidément, cet imbécile exagère !
Le sabotage n’est pas « français »
Le Progrès de la Côte-d’Or, qu’un de nos amis nous communique, ne manque pas lui non plus de fins aperçus sur la question- :
« Un service comme celui des communications électriques remplit dans la vie économique du pays un rôle trop primordial pour que le gouvernement puisse laisser jouir d’une
plus longue impunité les sinistres personnages qui ont juré d’en empêcher le fonctionnement. »
C’est aussi notre avis ! Mais encore faut-il les attraper !
« Que si, parfois, il est dans nos habitudes, en France, de nous gausser des agents ou des auxiliaires de la justice, quand ils rentrent bredouilles de leurs expéditions,
c’est un penchant auquel le grand public ne cédera certainement pas dans le cas qui nous occupe. »
Ça dépend de quel public ; le public bourgeois, qui se sert journellement du téléphone, trouve en effet la plaisanterie de fort mauvais goût.
« Il y cédera d’autant moins que les chefs et les professeurs du sabotage en question n’ont pas même cette sorte de courage, en soi peu recommandable d’ailleurs, par où
certains malfaiteurs trouvent le moyen de faire impression sur la foule. »
La prochaine fois, ils opéreront en plein jour, après avoir prévenu 48 heures à l’avance le commissaire de police le plus voisin. « Le sabotage lui-même, qui consiste à s’en
prendre à des choses sans défense, apparaît déjà comme le plus lâche, et à coup sûr le moins français, des procédés qui puissent être mis au service d’une cause. »
Ah ! tu nous froisses dans notre patriotisme ! Sûrement, quand ils sauront que le sabotage n’est pas un procédé français, nos saboteurs ne manqueront pas d’y renoncer !
Le jeu de la réaction
Dans le Réveil du Nord, journal des socialistes jaunes et des radicaux tricolores du Nord, M. Desmons, ancien médecin militaire, officier
de la légion d’honneur, n’est pas content des saboteurs et il ne nous l’envoie pas dire :
« Quant à nous, nous ne cesserons de nous élever avec tout ce que nous avons de vigueur contre ces actes de barbares indignes de la classe ouvrière, d’une "classe ouvrière
sortie des langes du premier âge" comme l’écrit le camarade Marius André. Nous stigmatiserons ces énergumènes qui font trop bien le jeu de la réaction en préconisant ouvertement la violence, le
sabotage, l’insurrection, au sein d’un parti dont c’était l’honneur et la force, d’avoir inscrit à la base de sa constitution qu’il poursuivait, par le bulletin de vote, la conquête des pouvoirs
publics. »
Ces bourgeois repus sont tous les mêmes. Maintenant qu’ils sont installés confortablement autour de l’assiette au beurre, ils n’aiment pas les énergumènes, ils sont pour la légalité. On comprend
la répugnance de M. Desmons pour la révolution.
Signe particulier : ce M. Desmons, qui parle avec tant d’amour du Parti socialiste, refuse d’en être. C’est un des suiveurs de l’ancien énergumène Briand.
Propos d’un unifié
Dans le journal socialiste que dirige le citoyen Ringuier, à Saint-Quentin, on s’élève avec force contre le sabotage qui, à Chauny, non loin de là, a abouti à
couper 27 des 33 importants fils qui reliaient Paris à la région du Nord :
« Ces actes de sabotage sont complètement idiots. Si ceux qui se livrent à ce jeu dangereux se figurent qu’ils sont intelligents, ils se trompent. C’est de la malfaisance
bête. On a interrompu pendant une demi-journée toutes les correspondances téléphoniques et télégraphiques et porté préjudice au commerce et au grand public. A qui cela profite-t-il- ? A
personne. Et puis le sabotage est malhonnête et ne peut être le fait d’hommes conscients. »
Signe particulier : le socialiste conservateur qui a accouché de ce réquisitoire est un socialiste unifié. Il est vrai que notre mère l’oie, L’Humanité, lui avait dėjà
donné le la.
Nous le connaissons pas
Presque tous les journaux ont publié une note à peu près ainsi conçue au sujet de Roussel, l’un des camarades anarchistes arrêtés sous l’inculpation de détention
de dynamite : « On affirme, à la CGT, qu’il ne fait plus partie de cette organisation depuis plus d’un an. »
D’autre part, l’Union des syndicats siégeant à la Bourse du travail, déclare que Roussel a été rayé de la liste de ses membres, depuis au moins une année.
Possible ! Que Roussel, qui était l’un des signataires du manifeste de la CGT « Gouvernement d’assassins », dont douze seulement furent récemment poursuivis, n’ait plus rien de
commun avec la CGT. Tout de même cette unanimité et cet empressement à le renier, au moment où il est coffré, dénotent, dans certains milieux syndicalistes, une prudence et une diplomatie qui
commencent à devenir inquiétantes.
L’organisation de combat reprend la parole
Communication non officielle transmise par fil non coupés.
Nous avons reçu cette nuit le document suivant :
L’organisation de combat qui s’est occupé d’organiser le sabotage à l’occasion de la grève générale tient à rappeler au public une fois pour toutes :
1°) Que les cheminots n’ont rien à voir dans cette affaire ; que le sabotage s’accomplit à leur insu et qu’il est entièrement inutile que certains orateurs se désolidarisent publiquement
d’avec les saboteurs, lesquels sont des militants révolutionnaires, soucieux de prendre part à la besogne nécessaire ;
2°) que le sabotage qui se pratique dans l’intérêt des cheminots et des autres corporations en grève continuera à s’exercer, même lorsque la grève sera terminée, en représailles contre un
gouvernement de jaunes et de traîtres ;
3°) que toutes les mesures prises — perquisitions, arrestations, emprisonnements, poursuites — contre les saboteurs sont entièrement inutiles et que rien ne pourra empêcher le sabotage de se
poursuivre méthodiquement tant que les salariés en révolte n’auront pas obtenu complète satisfaction.
L’ORGANISATION
PS : nous croyons que les auteurs de ce communiqué, membres de l’organisation de combat, nous l’ont transmis pour répondre aux notes aussi tendancieuses
qu’idiotes parues ça et là dans les journaux vendus à Aristide-la-crapule.
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