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La tyrannie la plus redoutable n'est pas celle qui prend figure d'arbitraire, c'est celle qui nous vient couverte du masque de la légalité." Albert Libertad

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le blog du laboratoire anarchiste

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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 07:12

Les attaques répétés contre les gens du Laboratoire, nous ont empêché de diffuser ce reportage sur radio  Labo. Malgré tout on diffuse ce reportage.

Amine Bentounsi est mort le 21 avril 2012, tué d’une balle dans le dos par la police. Un policier est mis en examen pour homicide volontaire ce qui déclenche un mouvement de solidarité dans la police qui réclame le principe de "présomption de légitime défense" pour les flics dans ce type d’affaire. La famille et les proches d’Amine demandent que toute la lumière soit faite sur ce meurtre et que la justice face vraiment son travail. Non au à la présomption de légitime défense ! non au permis de tuer ! Prise de sons à la marche pour Amine Bentounsi à Noisy-le-Sec le 12 mai 2012. Réalisé par l’équipe de l’émission Au Fond Près Du Radiateur.

radio :
FPP

caractéristiques techniques :
Durée : 24 minutes et 35 secondes
mp3 - 192 kbps - 45 Mo

Télécharger :

MP3 - 45 Mo
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22 mai 2012 2 22 /05 /mai /2012 06:49

Le procès "antiterroriste" à l’encontre de six camarades continue ce lundi 22 mai, RDV à 13h30 à la 10e chambre correctionnelle du TGI de Paris (métro Cité).
Plus d’infos ici et là.


article de la  presse bourgeoise pour donner l'actualité à tout les lecteurs du blog du laboratoire. Mercredi 23mai rendez vous au laboratoire( 8 place St jean)  à 16h - 18h,ceux qui veulent continuer la mobilisation. N'attendons pas du procés scélérat pour soutenir nos camarades


Mouvance anarchiste : Peines de prison requises contre six jeunes
Six jeunes soupçonnés d’avoir planifié en France des actes de terrorisme sont jugés en ce moment. Des peines de prison ferme ont été requises par le procureur.
Des peines de prison d’« un an dont six mois ferme » à « trois ans dont un an ferme » ont été requises lundi contre six jeunes soupçonnés d’appartenir à l’ultra-gauche « anarcho-autonome francilienne », accusés d’avoir planifié des actes de « terrorisme » entre 2006 et 2008.
Eux se disent anti-capitalistes
Le procureur du tribunal correctionnel de Paris, Olivier Christen, a décrit les prévenus — cinq hommes et une femme de 29 à 31 ans, qui contestent l’ensemble des faits qui leur sont reprochés — comme des « adeptes de la violence ». Leur objectif était selon lui de « déstabiliser l’État en troublant gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
Il a écarté le fait que ces jeunes réfutent appartenir à la mouvance « anarcho-autonome francilienne », alors qu’ils revendiquent leur engagement dans la lutte « anti-capitaliste » et « contestataire ». Cette mouvance s’est, selon la police, radicalisée à la faveur de la lutte anti-CPE (Contrat première embauche) en 2006 et de l’élection de Nicolas Sarkozy à l’Elysée en 2007.
Un procureur sévère dans ses requisitions
« C’est l’anarchie, il est normal qu’ils ne se retrouvent dans aucun groupe », a expliqué le magistrat, estimant que « le rattachement par la police de faits à cette mouvance n’est pas le fruit du hasard comme on essaie de nous le faire croire ». Le procureur a rappelé que les ADN de trois des prévenus avaient été retrouvés sur un engin incendiaire placé sous un camion de police à Paris en mai 2007, qui n’avait pas fonctionné.
L’un d’eux est également poursuivi pour avoir tenté de dégrader en avril 2006 une armoire électrique de la SNCF, sur une voie ferrée à Paris. Le procureur a requis à leur égard les peines les plus fortes. Il a souligné que plusieurs prévenus étaient accusés d’avoir détenu ou transporté des « éléments entrant dans la composition d’engins explosifs ou incendiaires ».
FranceSoir.fr, 21 mai 2012

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 08:47

La libération de nombre des personnes arrêtées le 26 Janvier, ne doit pas occulter le fait que, aujourd'hui, quatre hommes sont toujours en prison: Maurizio, Juan, Marcelo et Alessio. Et que d'autres formes de restriction de la liberté reste un moyen de créer une distance entre complices potentiels. Mais il n'y a pas de décision d'un juge qui pourrait étouffer la détermination de ceux qui luttent.

Résumé de l'examen concernant les arrestations du 26 Janvier 2012 contre les camarades Aucun tableau

6 de camarades qui étaient encore en détention dans la prison, 2 (Luca et Georges) est désormais placé sous résidence surveillée, également desserrer les mesures restrictives à l'encontre des inculpé-e-s  en résidence surveillée ou  d'autre obligation
En résumé, restent en prison:

A Milan, la prison de San Vittore, Filangieri Square 2, 20123 Milan
Maurizio Ferrari
Marcelo Jara Damian Marin

A Turin, la prison Lorusso Cotugno, Via Pianezza 300, 10151 Torino
Alessio del sordo

En Trento, Via Beccaria 13, loc Spini de Gardolo, Gardolo 38014, Trento
Juan Antonio Sorroche Fernandez


Cientanni Luca, Giorgio Rossetto, Matthew Grieco, Fabrizio Manor, Frédéric Guido en résidence surveillée

Pris hors résidence surveillée à Gabriela, Pino et Lollo

La vallée ne s'arrête pas, la liberté pour tous et tous

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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 08:17

lu dans CQFD n°99

Jeunes français militants, engagés à gauche, ils ont rejoint l’Algérie à partir de 1962 pour aider le nouveau pays à se construire. Avant de plier bagage quelques années plus tard, désenchantés. On les appelle les pieds-rouges [1], et CQFD a rencontré l’un d’eux.

En ce cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, la presse dégouline de témoignages de pieds-noirs, « cocus » de l’histoire. Mais il en est d’autres, bien plus discrets, qui ont longtemps répugné à parler. Jusqu’à ce qu’un jour… « J’ai été une sorte d’idiot utile. Mais si c’était à refaire, je recommencerais. Avec cette distance de savoir que l’homme est mal fait et que, quand on vous parle de collectif, il y a toujours un malin pour ramasser la mise, derrière… Mais oui, je recommencerais ! » L’œil bleu pétille sous la casquette. À 85 ans, Jean-Marie Boëglin doit s’aider d’une canne pour marcher, mais ne cherche pas ses mots. Il a fallu le prier un peu pour le convaincre de convoquer les fantômes de ses années pieds-rouges. Il râle qu’il va mal dormir après, raconte que la dernière fois qu’il a ouvert un carton de souvenirs, il a tout balancé dans par Nardol’Isère, juste en bas de chez lui, puis se lance. « Ce n’est même pas par idéologie ou par militantisme que je me suis engagé auprès du FLN, je suis plus instinctuel [sic]. Pour vous situer, à 15 ans, je me suis fait virer des Jeunesses communistes parce que trop libertaire et, à 17, de la Fédération anarchiste parce que trop marxiste ! Mais ma vie, c’était le théâtre. En 1957, je traînais à Lyon avec Roger Planchon. J’ai rencontré un jeune qui s’appelait Kader, passionné de théâtre lui aussi. Peu de temps après, il a disparu et ses amis m’ont appris qu’il était mort sous la torture dans un commissariat. Choqué, j’ai proposé un coup de main, puis l’épaule y est passée, puis tout le reste. »

De son père, ancien chef de réseau Francs-tireurs partisans (FTP) durant la seconde guerre mondiale, Jean-Marie Boëglin a appris les techniques de la clandestinité. En 1961, il est condamné à dix ans de prison par contumace, et passe au Maroc. À l’été 1962, il entre en Algérie avec l’Armée de libération nationale (ALN) et gagne Alger. « Toutes les nuits, on entendait des coups de feu. Très vite, je me suis aperçu qu’il y avait une lutte pour le pouvoir mais bon, je me disais, c’est normal, c’est les séquelles du colonialisme. Quand je posais des questions, on me répondait toujours : “Ce n’est pas le moment.” Ça m’a refroidi, mais en même temps, on avait des moyens et puis, on se sentait un petit peu bolchevik quand même ! »

Le théâtre, à nouveau, dirige sa vie. Avec Mohamed Boudia [2], qu’il a connu en France, et Mourad Bourboune, il fait partie de la commission culturelle du Front de libération nationale (FLN), qui crée le Théâtre national d’Alger en lieu et place de l’Opéra, et nationalise les salles d’Oran, Constantine et Annaba. La révolution est en marche, les pablistes [3] ont l’oreille de Ben Bella, l’autogestion est le mot d’ordre sur toutes les lèvres. Boëglin devient l’un des enseignants les plus en vue du tout nouveau Institut national des arts dramatiques. Années heureuses où il a le sentiment de participer à la construction d’un monde et d’un homme nouveau. Jusqu’au coup d’état du général Boumediene, le 19 juin 1965. L’armée prend le pouvoir, l’islam est proclamé religion d’état, l’arabisation décrétée. « Les socialistes en peau de lapin », comme les appelle Boumediene, ne sont plus les bienvenus.

« Le vrai visage d’un tas de gens s’est révélé à ce moment là. Et il n’était pas beau. Beaucoup de pieds-rouges sont partis, d’eux-mêmes ou chassés. Malgré tout, j’y croyais, je croyais très fort au théâtre, je ne voulais pas laisser tomber l’école de comédiens. Malgré l’exil de Boudia et de Bourboune, je me disais que tout n’était pas terminé. Et puis, en tant que petit blanc, je culpabilisais comme un fou. Alors, je ne suis pas parti. » Il est arrêté, brutalisé, puis relâché et retrouve son poste. En 1966, les actions commises contre la sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie sont amnistiées en France. Vexé d’être mis dans le même sac que les militants de l’Organisation armée secrète (OAS), Boëglin refuse de rentrer. Fin 1968, il est viré de sa chère école de théâtre et trouve à se recaser dans la communication. « J’avais la vanité de me dire : si je gêne, c’est que je sers à quelque chose. Et puis, avec le recul, je me dis que quelques graines ont germé. »

En 1979, des rumeurs l’accusent de sionisme et il comprend qu’il doit partir. Ce qu’il fera définitivement en 1981. De retour en France, à la Maison de la culture de Grenoble, il n’aura de cesse de mettre en scène des auteurs algériens.

Le soir est tombé dans l’appartement au bord de l’Isère. Jean-Marie Böeglin tire sur sa pipe, en silence, puis lâche : « Nous aussi, nous sommes les cocus de l’histoire. Pas de manière aussi dramatique que les pieds-noirs ou les harkis mais quand même un peu… » Cette fois, l’œil bleu se voile. Pas longtemps. D’un revers de main, Jean-Marie Boëglin chasse les fantômes et assène : « Je survis parce que je suis en colère. Et cette colère me donne de l’énergie. Tout est en train de craquer et j’espère que je ne crèverais pas avant d’avoir vu l’effondrement du système capitaliste. »

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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 22:43
voir le cri du Dodopour lesprolo en lutte
[Le principe de l'assemblée, dans sa diversité, sa complexité, et malgré les attaques qui ont pu lui être portées (voir le rejet total par certains camarades) reste selon toutes vraisemblances une pratique incontournable d'auto-organisation à laquelle on revient régulièrement, nécessairement. Il peut donc être utile de la penser, de la questionner, et d'interroger son histoire dans la lutte contre le Capital et l'Etat. Elle pourrait être regardée moins en termes de mouvement que d'espace (souvent éphémère mais pas toujours), où l'on se rencontre, où l'on se retrouve. Moins un lieu où l'on fétichise la décision et le vote qu'un espace de rencontre, de discussion, de critique, d'analyse mais aussi d'initiative, d'action collective, de mise en pratique et de coordination. Pas forcément non plus un lieu de "palabre", mais aussi le moment où se découvrent les complicités, et l'occasion de donner jour à des intelligences collectives où l'écrit et l'action, entre autres, ne sont plus pensés uniquement comme des questions individuelles ou ne répondant qu'à des dynamiques de petits groupes. C'est aussi, dans la plupart des cas, et encore aujourd'hui d'Athènes à Turin, de Barcelone à Oakland et de Tokyo à Moscou le meilleur moyen qu'ont trouvé les prolétaires en lutte et les révolutionnaires pour rejeter toutes médiations politiques ou syndicales.
Nous commençons ce dossier sur la pratique assembléiste dans une perspective anarchiste ou anti-autoritaire, avec ce texte signé par Vincente Kast et Adriana Valiadis et publié dans la revue Os Cangaceiros, N.2 en Novembre 1985]

"L'assemblée est notre arme fondamentale" 
les émeutiers de Forjas Mavens, printemps 1976

Depuis la fin de la guerre civile, une idée devenue pratique fait son chemin en Espagne. Dès les premières grèves sauvages sous le franquisme, les prolétaires espagnols se sont organisés en assemblée. Si l’on peut en trouver l’origine dans une tradition libertaire chère aux Espagnols, elle ne peut expliquer à elle seule l’émergence de la pratique assembléiste dans le mouvement social de ce pays. Les conditions qui ont présidé à l’écrasement du mouvement révolutionnaire espagnol ont contraint les prolétaires à se donner des formes de lutte spécifiques, à défendre l’idée de l’assemblée comme seule organisation possible de la communication, sans laquelle ils ne pouvaient agir. C’est essentiellement le travail qui rattache les pauvres à la société civile, mais sous Franco, c’était brutalement, sans intermédiaires, sans marchandages ni négociateurs. C’est la mise au travail forcé qu’il avait imposé à toute l’Espagne.

Comme l’affirment encore aujourd’hui de nombreux espagnols : « il fallait travailler, mais pour rien ». Peu de choses ont filtré de cette époque, l’État franquiste imposant le silence sur l’insubordination quasi-permanente, en même temps qu’il cherchait à imposer la terreur. À différentes reprises, ce fut la guerre ouverte contre l’État, l’armée dut s’emparer des rues, pour éviter que la population elle-même ne s’en empare. La masse des travailleurs était soumise à des conditions d’exploitation draconiennes, et le mépris avec lequel elle était traitée, était sans limites. En Espagne, plus que nulle part ailleurs, les formes de représentativité politique ont été mises à mal. Plus qu’ailleurs, ce qui parle et se meut au nom de la légalité a trouvé peu d’écho chez les pauvres. Des leçons tirées d’un affrontement direct et permanent pendant près de 40 ans contre l’État, les prolétaires espagnols en ont déduit une nécessité subjective de communiquer entre eux sans intermédiaires. La pratique assembléiste de réunion, discussion, de décision au moment d’une grève constitue tout le contraire du recours systématique à la médiation syndicale, et en cela contient une richesse spécifique aux luttes sociales en Espagne. L’assemblée est un « instrument de lutte, un extraordinaire forum d’agitation, l’assemblée rend possible la participation active de tous les travailleurs dans les décisions » ( Accion comunista, avril 65).

Ailleurs dans le monde, ou du moins en Europe, il y a eu de nombreuses grèves sauvages, avec assemblées ou conseils d’usine, mais jamais la communication ne s’est organisée systématiquement de manière clandestine et autonome comme dans les assemblées espagnoles. Lorsqu’un conflit éclate, les prolétaires espagnols ont toujours dans la tête l’idée de l’assemblée. Ceci se traduit encore aujourd’hui par une défiance historique à l’encontre du syndicalisme. On n’entendra jamais un ouvrier espagnol dire, comme on a pu l’entendre en Angleterre de la bouche de gens pourtant très combatifs : « Le syndicat, c’est nous ! », «Tout le pouvoir aux assemblées », disait-on en 76/77 dans les multiples grèves assembléistes qui éclataient dans toute l’Espagne. En assemblée, tout ce qui est dit et fait appartient au public. Le public, c’est d’abord le public au moment où il se constitue, c’est de sa propre réflexion qu’il puise sa force et son besoin de s’étendre en se généralisant à la société toute entière. De 76 à 78, les assemblées se sont généralisées en Espagne, elles se sont formées pour imposer un rapport de force au reste de la société. Tout au long des années 30, la bourgeoisie en Espagne en est encore à essayer de faire sa propre révolution. Trois obstacles s’opposent au projet de la bourgeoisie de créer un État démocratique suffisamment fort : la concurrence à laquelle se livrent entre elles les différentes bourgeoisies régionales, l’Espagne conservatrice et latifundiaire accrochée à ses privilèges traditionnels et hostile à toute ouverture sur le marché mondial, et un mouvement ouvrier particulièrement rebelle. La république espagnole est faible. L’État espagnol en est encore à espérer concentrer sur lui l’intérêt général. Les différentes bourgeoisies libérales s’attaquent en ordre dispersé à l’Espagne traditionnelle dont les intérêts sont depuis toujours protégés par l’armée. Pour elles, une seule solution : faire participer les pauvres à la défense de ses propres intérêts — c’est ce à quoi elles vont s’atteler, recevant l’appui attendu des bureaucraties syndicales.

La CNT, dès 37 prônera la « syndicalisation de la production », c’est-à-dire la cogestion de la république bourgeoise. Le mot d’ordre CNTiste « d’abord gagner la guerre, la révolution ensuite », sera repris immédiatement par la bourgeoisie qui y retrouve tout son intérêt : faire taire la révolution, puis lier le sort des pauvres à son propre sort. Avec la victoire du franquisme, le projet démocratique de la bourgeoisie libérale de reconnaître aux pauvres une participation à la société civile, va être repoussé pour plusieurs décennies. La société civile et l’État se retrouveront confondus dans la bureaucratie phalangiste. Sous Franco, il n’est reconnu aux travailleurs aucune existence civile. Ils n’ont aucun droit, seulement le devoir de travailler. L’État franquiste survivra grâce à un apport massif de capitaux venus des démocraties occidentales. En échange de ces investissements, il garantissait l’ordre, la stabilité sociale qu’il se chargeait d’assurer par la force militaire. C’est la fraction technocratique, moderniste de l’État, les membres de l’Opus Dei qui, dès 1957, furent les maîtres d’oeuvre du développement industriel. Ils s’opposèrent par leur projet de modernisation du Capital aux réflexes d’autarcie encore en vigueur dans la classe politique, mais s’accommoderont très bien au régime franquiste puisqu’ils avaient besoin d’un État fort. Ainsi, c’est avec la plus grande rigueur qu’ils imposèrent leur plan de développement. Une loi contre la grève fut votée, le plafond des salaires maintenu très bas (déjà en 39, l’État franquiste avait ramené les salaires à ceux de 36), afin de faire de l’Espagne un véritable paradis pour les capitaux, en attirer toujours plus. Dans les années 50 et 60, les luttes ouvrières prennent nécessairement la tournure d’un conflit social ouvert contre l’État. Sous le franquisme, n’existe pas la médiation du Droit entre le travailleur et la société civile.

L’État concentre sur lui l’activité politique et donc syndicale. Ces conditions vont elles-mêmes déterminer une forme d’organisation des travailleurs spécifique du mouvement social espagnol. Tout l’arsenal juridique dont se munissent les démocraties occidentales, et qui va aboutir à l’intégration du mouvement ouvrier à la société civile, ne se développe pas dans l’Espagne fasciste. Sous Franco, il n’existe ni droit au travail, ni droit d’association pour les ouvriers, ni droit de grève, et ceux dont le rôle est habituellement de revendiquer et défendre ces droits, les syndicats, n’ont eux-mêmes pas le droit d’exister. La grève est illégale, considérée comme acte de guerre contre la société civile et réprimée comme tel. Les travailleurs quand ils s’organisent pour une grève, sont traités par l’État en ennemis intérieurs auxquels il faut appliquer les lois de la guerre. Fin 61 par exemple, des ouvriers occupent les ateliers du chemin de fer à Beassain au Pays Basque. Deux jours après, la Guardia Civile intervient pour les faire évacuer et tire. Toute la population de la ville se soulève alors. Une importante vague de grève comme il n’y en avait pas eu depuis 25 ans envahit le pays, principalement dans les chantiers navals de Bilbao et dans les Asturies. De nombreuses augmentations de salaire sont concédées. Par contre, l’état d’exception est déclaré dans le Nord du pays, et des « droits spéciaux » accordés aux flics. Après de nombreuses arrestations, une loi interdit notamment de changer de domicile pendant deux ans. Comme la grève est illégale, l’ouvrier qui se met en grève est hors-la-loi. Il est considéré comme un bandit. Nombreuses sont les assemblées de grévistes qui doivent se tenir clandestinement dans les forêts, ou la montagne. Les travailleurs ne se soucient pas du Droit, ils n’ont rien à en attendre. Alors que la grève est illégale, ils y ont sans cesse recours, massivement. En 58, par exemple, après le licenciement de six mineurs dans les Asturies pour cause de « production insuffisante », une vague de grèves va s’étendre à tous les centres industriels du pays. 25 000 ouvriers à Barcelone (SEAT, Pegaso, Hispano Olivetti...), arrêtent le travail, sans aucune revendication, hormis la solidarité avec les autres grévistes. Les travailleurs, n’ont pas d’autre choix à l’époque que le syndicalisme d’État ou la grève sauvage. Ils ne disposent d’aucune représentativité politique, puisque les syndicats ouvriers sont interdits. La seule forme de représentation syndicale est concentrée dans le CNS, syndicat vertical corporatiste créé en 40 par Franco dans le cadre de la « charte du travail », établie sur le même modèle que celle de l’Italie mussolinienne : «À travers le syndicat, c’est l’État qui prendra soin de savoir si les conditions économiques et de tous ordres dans lesquelles s’effectuent le travail, sont celles qui également correspondent à l’ouvrier. » (Article 3 de la charte du travail) Les quelques tentatives franquistes de lâcher un peu de lest dans la législation du travail et qui évidemment succèdent à des périodes de grèves et d’agitation sociale, seront systématiquement boycottées par les ouvriers qui se refusent à envoyer leurs délégués pieds et poings liés servir de caution à l’État. Ainsi, toutes les réformes qui sont tentées pour intégrer les travailleurs à l’activité syndicale du CNS échouent. Ils n’iront pas participer aux « élections libres des délégués d’entreprise »(loi de 57), et refuseront la proposition qui leur est faite de prendre part aux discussions sur les « conventions collectives » (selon la loi de 58). Seuls les bureaucrates syndicaux des CCOO, USO, etc., contraints à l’époque à la clandestinité politique tenteront afin d’avoir quelques pouvoirs, de s’infiltrer par le biais de ces lois dans le syndicat vertical franquiste. La lutte politique que mènent dans ce but les syndicalistes, se développe déjà à côté de la lutte réelle que mènent les prolétaires en s’affrontant directement avec l’État.
 Sous le franquisme, tout le processus d’intégration du mouvement ouvrier à la société civile se trouve bloqué.

Les grèves, pendant toute cette période ne sont jamais lancées à l’initiative d’un organe politique ou syndical. Les revendications, lorsqu’il y en a, portent toujours sur le salaire, les conditions de travail, la réintégration d’un ouvrier licencié. Elles ne se fixent jamais un but politique. Cette activité est délibérément laissée à d’autres, et toute agitation politique est systématiquement boycottée (1). Il n’était pas question de se faire connaître, les leaders déclarés étant immédiatement pris en otage et envoyés en prison, ou bien même assassinés. Il ne fallait laisser aucune prise supplémentaire à la répression. Toutes les organisations politiques étaient dans la clandestinité politique ; les travailleurs eux, durent faire l’expérience de la clandestinité sociale. L’État n’a pas de représentants chez les pauvres. Un vide est ainsi créé entre les travailleurs et la société civile. C’est de ce vide que naissent les assemblées : les travailleurs définissent par eux-mêmes les conditions de la communication. Ils ne se donnent pas d’autre médiation que celle du libre bavardage. En assemblée l’insatisfaction des prolétaires devient elle-même indivisible dans l’affrontement constant qu’ils mènent contre l’État. Par exemple, en 65, dans les Asturies, le commissariat de Mieres est attaqué au moment d’une grève. 8 000 mineurs avaient convergé de diverses localités de la région pour tenir une assemblée dans la maison des syndicats. La police qui avait ordre d’empêcher tout rassemblement arrête 15 personnes.

Le commissariat est pris d’assaut, mis à sac et les 15 mineurs libérés. À la fin des 60’ et pendant les 70’, le principe assembléiste de décision collective et sans intermédiaire va se développer et se retrouver au centre de tous les conflits importants. En 67, à Echevarri (Pays Basque), 560 ouvriers des Laminacion de Bandas en Frio (sidérurgie), se mettent en grève contre la diminution des bonus et occupent l’usine. Des assemblées se tiennent quotidiennement pendant 163 jours avec l’ensemble de la population. La Guardia Civile finit par évacuer l’usine après de violentes bagarres. Des grèves de solidarité avec assemblées éclatent dans toute l’Espagne (dans la métallurgie, les transports, les mines, le textile), pour des augmentations de salaire ou les conditions de travail. Le 27 janvier 67, 30 000 personnes affrontent la police au cours d’une manifestation près d’Echevarri et des ouvriers arrêtés seront même libérés par la foule qui parviendra à désarmer les flics. Début 72, à El Ferrol (Galice), une grève est déclenchée dans les chantiers navals en refus de faire des heures supplémentaires. Six ouvriers sont licenciés. De violentes bagarres s’ensuivent, qui mettent les flics à nouveau en prise à toute la population. Les affrontements s’étendent jusque dans les usines du port, et prennent une dimension telle que la police est forcée de se retirer dans les casernes. Le 10 mars, les émeutiers sont maîtres de la ville pendant quelques heures. L’armée et trois navires de guerre doivent contourner la ville et bloquer l’entrée du port, craignant que les ouvriers ne s’emparent des armes présentes dans tous les arsenaux. Après qu’ils aient été vaincus, l’état d’exception fut déclaré et les ouvriers placés sous statut militaire, la marine faisant régner l’ordre dans les chantiers ainsi que dans la ville. La succession des conflits dans les 60’ et 70’ montre à quel point la législation contre la grève est annihilée dans les faits. Si la grève reste toujours un délit et est souvent réprimée durement, le recours massif et imprévisible qui en est fait, n’a jamais pu être empêché. C’est pourquoi, le 22 mai 1975, la réalité faisant pression, un décret de loi légitimise le recours à la grève, afin de tenter de mieux réguler le déroulement des conflits. La grève cesse d’être un « délit en soi » à condition qu’elle ne dépasse pas les limites de l’entreprise (afin d’éviter le débordement dans la rue et le contact avec le reste de la population), et qu’elle ne soit pas une grève de solidarité.

Ce processus de « libéralisation » formelle entamé par Franco juste avant sa mort ne pouvait qu’avaliser une liberté qui se prenait dans les faits et bien plus largement. Au cours des 70’, l’indiscipline des ouvriers allait toujours en s’accroissant. Les licenciements et les sanctions étaient refusés agressivement et soulevaient d’interminables grèves de solidarité. Les augmentations de prix provoquaient des mobilisations importantes. Tous ces mouvements étaient réprimés violemment. La répression, lorsqu’elle s’abattait quelque part, entraînait soit une résistance accrue qui s’étendait à toute une population, soit elle suscitait la colère ailleurs et le mouvement s’amplifiait. L’assemblée qui se formait dans chaque conflit était l’élément négatif qui activait la communication, et sur laquelle l’État n’avait aucun contrôle. De cette agitation quasi-permanente, le Capital espagnol commençait sérieusement à pâtir. Le nombre considérable d’heures perdues dans les innombrables grèves mettait à mal de nombreuses entreprises. La chute des investissements sur le marché national fut brutale, surtout dans l’industrie. Les franquistes, sous la pression des technocrates bourgeois, s’ils voulaient que le pays redevienne compétitif sur le marché mondial devaient avant tout anéantir la résistance au travail qui se manifestait à travers la multitude de grèves, sabotages, absentéisme qui avaient émaillé les deux dernières décennies. L’État espagnol ne pouvait durablement s’imposer par la force. À partir de 76, il chercha à ce que les pauvres aient une participation démocratique à la société civile. Il avança l’idée que dorénavant, on pourrait « traiter » avec lui. Tout cela avait été depuis longtemps préparé en coulisse. La disparition de Franco tomba à pic, puisque la partie moderniste de l’État put faire coïncider spectaculairement la mort de cette vieille ordure avec le processus de « libéralisation » du régime. En 76, la grève était quasi-générale en Espagne. Partout des conflits éclataient, partout des assemblées se tenaient. Les pauvres organisés en assemblée se sont engouffrés dans la brèche laissée par l’État qui voulait se démocratiser, et ils ont vite vu de quoi il en retournait. Les mesures de blocage des salaires, les licenciements, l’armée toujours sur le pied de guerre, les prisons qui ne désemplissent pas... la réalité de la « libéralisation démocratique » est vite apparue.

En s’organisant en assemblée, ils mirent cette réalité en échec. L’État n’avait toujours pas d’autre recours que de réprimer violemment l’offensive qui s’affirmait dans la rue et les usines. La période de 76 à 78, couramment appelée «mouvement des assemblées », marque la généralisation à toute l’Espagne de la pratique assembléiste – principalement à partir de conflits industriels, mais aussi étendue à l’ensemble des conflits sociaux, qui prirent souvent dans cette période des formes de guerre ouverte contre l’État, et dans laquelle travailleurs, jeunes ou chômeurs-à-vie se sont retrouvés. Le coup d’envoi d’une grande vague de grèves est donné début janvier 76 par la grève qui se déclenche au métro de Madrid. Les dépôts sont occupés mais la troupe expulse. Des assemblées se tiennent dans des églises. La grève s’étend à tous les secteurs de la ville (l’imprimerie, l’enseignement, la santé, la banque...). À Madrid, il y a plus de 100 000 grévistes. Puis le mouvement s’étend à Barcelone, les Asturies, Valence, l’usine Renault de Valladolid. Des affrontements de rue ont lieu un peu partout. Les travailleurs du métro de Madrid sont forcés de reprendre le travail, placés sous statut militaire. À Valladolid, les ouvriers de Renault sont à deux reprises lock-outés. De nombreuses arrestations eurent lieu, et au total, 1 300 ouvriers furent licenciés. Au départ, il n’y avait eu aucune consigne générale de grève, mais elle s’est répandue comme une traînée de poudre. Là où les travailleurs furent forcés de reprendre, ailleurs, d’autres grèves se déclenchèrent. En septembre, la grève est générale à Tenerife, au Pays Basque, elle est générale dans les postes, dans la métallurgie à Sabadell, dans le bâtiment à Leon, et aussi à la Coruna, Burgos, Valladolid. Les grévistes à l’issue des assemblées, s’affrontent rapidement et souvent très durement aux flics. Au Pays Basque, la mort d’un travailleur met 600 000 personnes en grève qui ignorent l’appel à la reprise du travail des syndicats. En Vizcaya (province du Pays Basque), il est créé une coordination unitaire des assemblées d’usine composée de délégués révocables, représentant 12 000 personnes. D’un mouvement qui connut une telle ampleur et qui trouvait principalement ses origines dans des luttes d’ouvriers, il n’en sortit jamais un programme autogestionnaire du type de celui des conseils d’usines en Italie. La préoccupation centrale de ces assemblées se concentrait essentiellement sur la pratique même de la communication. La pratique des assemblées qui se généralisa à l’époque, comme unique forme d’organisation entre les prolétaires, allait de pair avec la généralisation du bavardage. Une véritable passion du dialogue s’y donnait libre cours. Les assemblées, on le sait, étaient ouvertes à tous, chacun pouvait parler de ce qui était fait ou restait à faire, et rapidement on en arrivait à parler de tout. La communication trouvait un prolongement pratique dans l’affrontement collectif contre les flics. À plusieurs reprises, un vent d’émeute souffla à partir des assemblées. À Vitoria, le 3 mars 76, après que les premières barricades furent édifiées dans le centreville, les flics se replièrent faute de renforts. Mais, les assembléistes se sentirent investis d’une telle force qu’ils en arrivèrent momentanément à en oublier l’ennemi. Ils allèrent assister à un meeting dans une église. À la sortie, désarmés, ils se firent mitraillés par les flics qui avaient refermé la nasse entre temps. Toute la soirée et la nuit qui suivit, les émeutiers se répandirent dans la ville et s’affrontèrent aux flics la rage au ventre. Il y eut de nombreux morts. La commission des travailleurs de Forjas Alavesas, qui avait déclenché la grève devenue générale à Vitoria, était forcée de conclure : «Le meilleur moyen de mettre fin à un conflit est de désarmer une des parties. Nous avons repris le travail sans obtenir satisfaction sur toutes nos revendications. D’abord parce que les mitraillettes nous y obligent. Et ensuite parce qu’ils nous ont désarmés, l’assemblée étant bien entendu l’arme fondamentale. » Dans toutes ces grèves, de l’Espagne de la fin des 70’, l’assemblée concentre tous les pouvoirs de décision. Les syndicats sont des corps étrangers à l’insatisfaction qui s’y exprime. La représentation syndicale est clairement rejetée.

En octobre 76, en Vizcaya, pendant la grève de la construction, les assemblées sont journalières et coordonnées entre les différents chantiers où se prennent des décisions discutées ensuite dans l’assemblée générale dont dépend la coordination entre tous les délégués, la commission de négociation, les piquets, la caisse de grève, la rédaction du bulletin de l’assemblée. Les syndicats y sont ouvertement traités en ennemis, et il leur est formellement interdit de prendre la parole, de distribuer des tracts, d’arborer leurs sigles et de collecter de l’argent pour la caisse de grève en utilisant leurs sigles. D’autres fois, comme à Leon à la même époque, des syndicalistes se sont faits purement et simplement démolir le portrait et expulsés de l’assemblée. À la Roca, Gava (Province de Barcelone), dans un conflit qui débuta en mars/avril 76, et qui dura jusqu’en décembre, les syndicats se retrouvèrent en dehors du conflit. En novembre/ décembre, une assemblée unique se tenait et regroupait environ 4 700 personnes. À la Roca, chacun se connaissait, ce qui élimina tout risque d’infiltration et de manipulation sournoise des syndicats. Ceux-ci ne purent faire autre chose que de condamner le conflit de l’extérieur, prenant position contre les assemblées et s’indignant de « l’intransigeance des ouvriers ». À plusieurs reprises, les flics intervinrent pour disperser les assemblées. À partir du 15 novembre pendant une semaine, elles durent se tenir dans le village proche ou la montagne. Le 17, un vote à main levée fut organisé pour élire une commission de négociation, dont 9 délégués sur 10 étaient des ouvriers licenciés – posant comme préalable la réintégration des licenciés et la libération des grévistes arrêtés. En assemblée, ils s’organisèrent pour former des piquets vers les autres usines de la région et aller corriger les jaunes et les mouchards. De nombreuses femmes et des centaines de jeunes se joignirent à eux. La consigne étant, comme à Vitoria, « tout le pouvoir aux assemblées », les syndicats durent unir tous leurs pouvoirs contre les assemblées. Ils firent de l’unité des travailleurs leur cheval de bataille, c’est-à-dire pour eux, l’unité des travailleurs derrière les syndicats, au moment même où certaines assemblées commençaient à se coordonner entre elles. Les staliniens, à travers les CCOO, durent abandonner dans un premier temps leur prétention hégémonique à la représentativité, et pour avoir plus de poids s’associèrent avec l’UGT et l’USO (chrétiens) au sein du COS (une sorte d’intersyndicale). Devant la promesse de leur reconnaissance légale par l’État, ils montrèrent très vite, dans les faits, que la condition sine qua non à cela était qu’ils contribuent à vaincre le mouvement réel. À la Roca, par exemple, où ils étaient rejetés de l’assemblée, ils réussirent à isoler le mouvement, à empêcher qu’il ne s’étende, suppléant par là l’action de la police qui encerclait les ouvriers dans leurs quartiers. Certains syndicats, comme les CCOO, la CNT... tentaient de se servir du prestige d’une clandestinité passée (et toute formelle après Franco) pour être acceptés dans les assemblées. Certains même n’hésitèrent pas à se proclamer assembléistes. Tout au long de l’année 76, il n’était pas rare de voir des syndicalistes proposer leurs services à la porte des usines. Mais, là où les syndicats ont pu pleinement exercer un rôle néfaste contre les assemblées, ce fut là où les assemblées s’avançaient en terrain ennemi : celui de la négociation. Dans l’assemblée s’organise la communication entre les prolétaires eux-mêmes. Il y parlent leur propre langue et il n’est question que de leur propre insatisfaction. Sur le terrain de la négociation, les assemblées, par l’intermédiaire des délégués, étaient forcées d’employer le discours de l’ennemi, celui du deal et des chiffres. Les commissions négociatrices, élues par les assemblées, n’étaient pas des organismes spécialisés dans la négociation, et la plupart du temps, elles étaient là sur un terrain glissant. Certaines assemblées, lorsqu’elles étaient réellement en position de force vis-à-vis de l’État auraient eu tort de ne pas en profiter pour imposer leurs exigences. La négociation n’était plus alors que le moment du rapport du force créé par l’assemblée. Et puis si les délégués de l’assemblée ne se montraient pas à la hauteur, elle pouvait toujours en désigner d’autres, représentants plus fermement sa détermination ! Un bel exemple de résultat négocié fut les 70% d’augmentation du salaire de base, obtenus en 76 à Valladolid par les ouvriers du bâtiment, à l’issue d’une grève avec assemblée. Par contre, la recherche d’une solution négociée en prolongement de ce qui avait motivé les assemblées, ne fit la plupart du temps que les affaiblir, servit aux syndicats à les isoler dans les intérêts particuliers à chaque conflit, et au final, à les faire disparaître une à une.

Cette tendance va s’affirmer plus particulièrement dans la création de commissions mixtes composées de délégués des assemblées et de représentants syndicaux. Dans cette formule bâtarde, l’assemblée se retrouvait uniquement en position de défensive à la table des négociations. L’intransigeance imposée par la force de l’assemblée dans un conflit, faisait souvent que les patrons refusaient d’engager des négociations. Ils ne voulaient pas des délégués élus par l’assemblée comme interlocuteurs. On ne peut s’entendre avec des sauvages, des irresponsables qui n’hésitent pas à appuyer leurs exigences par des moyens violents ! À ce moment-là, les négociations étaient bloquées. Les patrons envoyaient la Guardia Civile pour disperser les assemblées, ou bien alors une guerre d’usure s’engageait, le conflit s’éternisait. En dernier lieu, les syndicats s’offraient pour débloquer la situation et s’imposaient dans un ultime marchandage, négociant au rabais ce qui avait été avancé par l’assemblée. À Alicante, en août-septembre 77, plusieurs entreprises du secteur de la chaussure se mirent en grève pour soutenir les revendications que les travailleurs voulaient imposer dans la négociation pour les nouvelles conventions collectives qui devaient être votées en fin d’année. Le « vide syndical » avait été fait au sein des assemblées. L’assemblée générale des usines de Petrel, Elda, Manovar... exigeait 30 jours de congés payés par an, deux payes en supplément, 5 000 pesetas d’augmentation pour tous, des salaires égaux dans chaque catégorie, 100% du salaire en cas de maladie et les 40 heures par semaine. Les patrons se déclarèrent prêts à entendre ces exigences, mais envoyèrent les flics le 22 août. Des piquets de grève allèrent alors devant les usines de la région. Des assemblées permanentes s’ensuivirent matin et soir, auxquelles assistaient près de 70 000 personnes. Le 26, d’autres usines se joignirent à la grève (comme à Murcia, Albareta, Salinas).

En représailles, des usines furent fermées, beaucoup d’ouvriers licenciés. La presse condamna avec les patrons la présence dans les assemblées de nom breuses personnes n’ayant rien à voir avec le secteur de l’industrie du cuir. De même, ils s’indignèrent en coeur de la pratique du vote à main levée dans les assemblées. Le 3 septembre, des syndicalistes, en faisant miroiter des promesses du patron réussirent à faire voter la reprise dans plusieurs usines. Les autres durent céder par la suite. Non sans que la colère envers les syndicats n’en sorte renforcée. À Gava, les syndicats s’arrangèrent pour faire aboutir les revendications particulières des assemblées des entreprises de moindre importance qui s’étaient mises en grève pour soutenir celle de la Roca. L’assemblée de la Roca qui était la plus combative put ainsi être vaincue dans l’isolement le plus total. Au moment fort des assemblées, l’agitation a largement dépassé le cadre des entreprises et a atteint la société entière. À plusieurs reprises, une communauté d’intérêt entre les pauvres dans la société s’est clairement exprimée : à la Roca, une des exigences formulée en assemblées par les grévistes était celle de l’amnistie générale pour tous les prisonniers d’Espagne. Au moment où une forte agitation régnait dans les prisons, des assemblées se formèrent pour appuyer les mouvements des prisonniers demandant une amnistie générale, car jusqu’alors, seuls les prisonniers politiques en avaient bénéficié. Le 31 juillet 76, la prison de Carabanchel à Madrid s’était mutinée. Puis, avait recommencé le 18 juillet 77 suivie par celles de Yeserias, Badajoz, Murcia, Palma, Grenade, Séville, Oviedo, Barcelone... En août, les prisonniers de Malaga, Séville, Saragosse se révoltèrent aussi. En octobre des mutineries éclatèrent à nouveau à Bilbao, Cartagène, Segovie, Palma de Majorque... La 5ème galerie de la prison de Barcelone fut incendiée. En février 78, la prison de Malaga brûlera aussi. En 77, il y eut de violentes manifestations pour l’amnistie au Pays Basque et en Navarre, qui se soldèrent par six morts et de nombreux blessés. Une grève générale fut appelée en réponse, mais eut un faible écho hors du Pays Basque car partout ailleurs les syndicats s’arrangèrent pour l’annuler. Sous Franco, le risque de se retrouver en prison était un risque encouru par tous. Si à cette époque, le mouvement contre les prisons eut une telle ampleur à l’extérieur, c’est qu’aussi de nombreux travailleurs avaient eu à subir la sinistre expérience de l’emprisonnement, le seul fait de faire grève faisant d’eux des délinquants. Beaucoup se trouvaient d’ailleurs encore entaulés. Ce fut vraiment une révolte contre un sort commun qui s’affirma alors dans les assemblées. En 78, à Renteria (banlieue de San Sebastian), nous connaissons l’exemple d’assemblées convoquées par les habitants pour protester contre un plan d’urbanisation de la ville. Une nouvelle tour en plus de celles qui hérissaient déjà les collines environnantes devait être construite. Les habitants s’opposaient à cette construction car elle aurait entraîné une réduction supplémentaire de l’espace, en plus du bruit et de la saleté qu’auraient occasionnés les travaux. Tout le monde était farouchement contre et l’exprimait en assemblée. L’assemblée fut exécutoire : les plans de la tour furent dérobés, les fondations qui avaient été commencées sautèrent. C’en fut définitivement terminé pour le plan d’urbanisation ! Dans cette période d’agitation permanente, la nécessité se renforça pour l’État de civiliser l’insatisfaction des travailleurs réunis en assemblée, de ramener dans la légalité un mouvement qui en était si souvent sorti. À partir de 77, une avalanche de lois, de décrets, de réformes est produite en vue de préparer la signature d’un pacte social qui réunira tous les prétendants à la gestion du pays : le pacte de la Moncloa (en octobre 77). Ce pacte signé entre le gouvernement et les partis politiques, consacre le consensus social de la « nouvelle Espagne démocratique », une sorte de « compromis historique » à l’espagnol. Il se donne pour objectif de réunir toutes les conditions pour obliger les pauvres à se remettre au travail, par la mise en place d’un solide encadrement législatif. Ainsi, le pacte confirme officiellement la reconnaissance des syndicats. (Ils avaient déjà été légalisés en mars 77. En août, sans perdre de temps, ils participaient à une « commission mixte charger d’étudier le programme gouvernemental » avec les représentants de l’État, et à laquelle participaient les trois principaux syndicats : les CCOO, l’UGT et l’USO. Les partis politiques sont aussi légalisés. La grève sans préavis est autorisée mais doit être déclarée à l’initiative des « représentants légaux ». Il est interdit de faire des grèves avec occupation des locaux, de faire des grèves tournantes ou perlées considérées comme abusives. De plus, seules les grèves dites « économiques », sont autorisées (revendications de salaires etc.) et uniquement dans la période de renouvellement des conventions collectives... Les revendications peuvent être discutées en assemblée, mais sous le contrôle de délégués syndicaux élus pour l’occasion... Ce pacte prévoit en outre des mesures de durcissement des conditions d’exploitation, afin de récupérer les pertes occasionnées par les précédentes grèves, et maintenir le prix de la force de travail à un niveau suffisamment bas pour relancer les entreprises espagnoles et étrangères. Ainsi, les salaires furent bloqués pour cinq ans, et de nombreux licenciements prévus (2). Par le pacte de la Moncloa, l’État a précipité l’intégration du mouvement ouvrier en Espagne.

À ceci près que le rôle d’intermédiaire des syndicats entre les travailleurs et l’État dans ce pays, a été épuisé avant même qu’il ait eu le temps de s’exercer. Les illusions que les syndicats drainent encore ailleurs en Europe, comme défenseurs des intérêts des salariés, ont été ruinées très vite chez les travailleurs espagnols, par leur participation ouverte et accélérée aux affaires de l’État. C’est maintenant l’intérêt de l’État qui s’exprime sans ambages par la bouche des bureaucrates : il faut gérer le travail, il faut gérer ce monde. Aujourd’hui, et en particulier depuis que se sont fait sentir les effets du pacte de la Moncloa. Les syndicats espagnols ont autant de crédit qu’en avait le syndicat vertical franquiste : c’està- dire aucun. L’UGT est considérée pour ce qu’elle est, le syndicat d’État, chargé d’appliquer les mesures gouvernementales. Les staliniens des CCOO apparaissent vraiment pour ce qu’ils ont toujours voulu être, des gestionnaires actifs de la force de travail. L’offensive menée à son terme par l’État, et qui arriva après deux ans de lutte intense dans les usines et dans la rue, réussit à casser l’élan des assemblées. Seulement quelques grèves éclatèrent en réponse, mais furent peu suivies. De stupides plans « de reconversion » d’entreprises purent être appliqués, comme à la SEAT. De nombreuses assemblées avaient été écrasées militairement et n’étaient pas prêtes de se reformer. Mais ce n’est pas le moindre mérite des assemblées que de n’avoir laissé d’autre issue aux syndicats en passe d’être légalisés, que celle de prendre ouvertement position contre elles et pour l’État. Les assemblées ont précipité l’usure du syndicalisme en Espagne. Sous Franco, la dispersion des luttes était une force, le centre était nulle part car elles se développaient partout. Mais, dans la période qui suivit, au moment où les assemblées se sont multipliées, la dispersion a été la principale faiblesse du mouvement. Les quelques tentatives de coordination entre assemblées ont rarement dépassé le cadre inter-entreprises à l’intérieur d’une même région. Les prolétaires organisés en assemblée dans les années 76/78, ont continué de compter sur une propagation spontanée de leur révolte. Ils avaient le souci d’organiser la communication entre eux, et avec leurs alliés immédiats, mais n’ont pas organisé la communication de sorte à ce qu’elle s’empare de tout le pays. Il semble que les assembléistes espagnols à la fin des 70’ n’aient pas évalué la force immense qu’ils avaient entre leurs mains — et il suffit parfois de se représenter sa force pour en avoir alors davantage. La pratique de l’assemblée, ce qu’il y a de plus ancien, de plus ancré dans la lutte des prolétaires en Espagne, est au coeur du mouvement social européen comme ce qu’il y a de plus moderne. L’Espagne a enrichi le terrain des luttes sociales par l’expérience collective de l’assemblée et le principe assembléiste reste exemplaire pour toutes les luttes à venir dignes de ce nom. L’assemblée n’est pas le fruit d’un programme mais d’un besoin de publicité qui devient pratique. En 78, le mouvement des assemblées a été écrasé, mais le principe reste et agit, et ressurgit régulièrement au centre de certains conflits. En Europe, le silence a été généralement organisé et conservé sur les assemblées en Espagne, et principalement par les défenseurs habituels de la vieille classe ouvrière.

 Ils se sont tus sur les assemblées car ils ne voulaient surtout pas ébruiter le caractère essentiellement non politique de ce mouvement. D’ici que cela se sache et qu’ailleurs dans le monde des prolétaires se le réapproprient ! Dans les années 77/78, le mouvement des assemblées a dépassé le cadre industriel qui souvent le limitait pour s’en prendre à la société toute entière. Quand les prolétaires s’attaquent aux prisons, aux diktats policiers des urbanistes, méprisent si ouvertement les syndicats et la politique, c’est tout le Vieux-Monde qui est atteint dans ses fondements. Avec la pratique généralisée des assemblées, c’est la question de l’intérêt universel des pauvres qui se trouve posée. L’absence de publicité n’est plus une énigme. Les prolétaires espagnols y ont apporté quelques réponses concrètes dans lesquelles nous nous reconnaissons entièrement.

À nous de jouer !

Vincente Kast, Adriana Valiadis 

1. Le 18 juin 59, le PCE (à travers Radio Espagne « indépendante » émettant depuis Prague !!), les cathos de gauche, les nationalistes basques et catalans... s’agitant sur l’agitation sociale des dernières années, s’allièrent dans un mot d’ordre de grève générale de 24h lancé dans le but de «déstabiliser le régime franquiste ». Ce fut l’échec total. Le seul mot d’ordre étant «À bas Franco », la population n’était pas prête à descendre dans la rue et se faire massacrer pour les beaux yeux racoleurs de la politique et de ses dirigeants.

2. Déjà en novembre 76, l’État avait accordé aux patrons le «despido libre » c’est-à-dire la possibilité de licencier à discrétion, sans préavis, les travailleurs jugés indésirables pour l’entreprise, soit pour leur indiscipline, soit par souci de rentabilité.
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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 20:30

 


Nous avons joint Oreste Scalzone à son domicile à Paris afin de commenter le texte de la revendication de la Fédération Anarchiste Informelle par rapport à l'attaque de Gênes contre Ansaldo Nucleare Adinolfi. Il est toujours pénible de détecter, dans ces occasions, la rhétorique  politique éculée  et les médias afin de  vendre encore une fois une reconstruction des années de lutte armée, comme un temps de peur répandue et généralisée , quand il n'est pas contesté que, dans ces années là où l'air était irrespirable pour certains, il était certainement pour les classes dirigeantes et  l'appareil intellectuel et technique qui a soutenu les médias de masse. C'est très bien les juges d'appel (proche du  PCI, avec à la tête Caselli) qui appelaient à la dénonciation contre ceux qui flirtait avec le la lutte armée à l’usine ils fasaient   presque toujours la sourde oreille. De même douloureuse est de détecter l'espace anormal que les réserves des médias pour de tels incidents, avec les commentateurs boulimiques expliquent  engagé à ceci et cela, quand la violence systémique, la violence du pouvoir et de statut, ils récoltent des milliers de victimes chaque jour. Mais vous savez, et Oreste nous rappelle, «un mort est une tragédie, des millions de morts juste une statistique." Les leviers idéologiques extenseurs de référence, scalzone l'analyse dans la tradition anarchiste  en ce qu'il rejette et fuit les luttes sociales (la lutte des classes tout court) comme une dynamique interne à la domination du capital, dans une certaine mesure renforce l'horizoin  de la social-démocratie. Dans le même temps, l'action et affirment qu'ils font définitivement partie de la voie de la révolte contre l'économique, le techno-scientifique, la société et l'Etat, restent englués dans un processus de mimésis vers un aspect plus ancien de l'ancienne capitale elle-même : la dialectique de la culpabilité-innocence. Dialectique qui infecte l'histoire humaine depuis des milliers d'années et qui parle le langage de la domination


Le deuxième point de critique porte sur le transfert de la demande: "nous ne considérons pas un point de contact pour les citoyens indignéspar  un dysfonctionnement d'un système qu'ils ne  veulent plus continuer de faire partie." Voici Oreste insiste sur le fait que, dans notre société, nous sommes désormais bien au-delà de la "conversation" de La Boétie et la servitude volontaire est devenu une sorte d'interpénétration, une mouvement de  l'inséparabilité entre l' homme et le capital, et le domaine humain, qui ne laisse aucune place à la critique et les accusations qui éliminent et nient  l'ambivalence dans laquelle, bon gré mal gré, tous on se  vautre
Le troisième point de préoccupations critiques le choix de la victime avec son mécanisme de sacrifice symbolique se cache le plus large et moins compréhensible à laquelle il appartient (le conseil d'administration, le capital lui-même). La victime qui n'est pas encore un autre bouc émissaire qui sert de mythe fondateur et l'identité du groupe (dans ce cas là, la cellule qui a tiré).
 Il est possible d’ écouter  l’intervention d’Oreste ici
Posted on mag 17, 2012 in Hot News, L'informazione di BlackoutOreste Scalzone sul comunicato F.A.Informale

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 13:24

lu sur le blog article XI et nous publions pour nos amies et ceux qu'on ne connait pasdes révolté-e-s

 

« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.« Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès ». Ainsi parla Vitor Gaspar, ministre des finances du Portugal, en avril dernier. Une sortie inique mais qui avait le mérite de la franchise : dans un pays socialement ravagé par les politiques de rigueur, les « sacrifices » se multiplient sans réelle contestation populaire. Jusqu’ici.

 

Nous avons fait une révolution mais, au lieu d’exploser, nous avons implosé. Et nous sommes, toujours, demeurés clandestins.  »
Mário Cesariny (1923-2006)

Le 18 avril 2012, une troupe de mercenaires de l’État portugais armés jusqu’aux dents bouclait un vieux quartier populaire du centre de Porto. L’objectif était d’investir une école abandonnée, occupée depuis quelques mois par des jeunes et des habitants. Et de déloger ces derniers. Le lieu, laissé à l’abandon par les autorités, avait été transformé en centre social aux activités multiples, allant de l’enseignement à des activités culturelles et sportives. Une vie associative y avait remplacé le no future quotidien et chassé l’activité destructrice de l’économie de la drogue. Pour l’ordre capitaliste, c’en est était trop, d’autant que cet enthousiasme se réclamait des principes de l’autogestion, mélangeant de jeunes activistes avec des jeunes et des moins jeunes habitants du quartier.

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Le même jour, à quelques milliers de kilomètres de l’école do Alto da Fontinha, le très propre sur lui ministre des finances du gouvernement portugais, Monsieur Vitor Gaspar, se trouvait à Washington DC. Devant les chefs du FMI, cet individu jouait un numéro rampant de pénitence : « Dans mon pays, les gens sont totalement disposés à se sacrifier et à travailler plus afin que le programme d’ajustement soit un succès, du moment que l’effort est réparti de façon juste  ».

Monsieur Gaspar est un technocrate ennuyeux, froid et gris issu du monde universitaire. Il a été choisi pour sa prétendue indépendance vis-à-vis des appareils politiques. Certains Portugais, qui compensent souvent leur résignation par un sens aigu de l’humour, l’ont nommé Gaspalazar, en souvenir d’un de ses sinistres prédécesseurs - un certain Salazar – qui après avoir mis les comptes de la boutique à jour s’est violemment accroché au pouvoir1. L’anecdote dit que ce Gaspalazar exige un reçu lorsqu’il donne une pièce à un mendiant !

Ces deux événements qui se sont télescopés par hasard dans le spectacle médiatique symbolisent parfaitement, chacun à leur manière, les deux tendances qui traversent la société portugaise en ces temps de crise. D’un côté, la radicalisation d’une minorité qui, pour la première fois depuis les années de la révolution portugaise de 1974-1975, prend en mains la nécessité de construire des alternatives à la morbidité du déterminisme économique. Dans ce camp, on trouve des jeunes précarisés, mais aussi des personnes des classes populaires, fatiguées des sacrifices mentionnés par Gaspalazar, chez qui l’épuisement de la patience lusitanienne fait place à une sourde haine envers les puissants. De l’autre côté, l’attitude servile de Gaspalazar traduit la bassesse de la bourgeoisie portugaise face aux seigneurs du monde financier. En toile de fond de ces deux histoires défile le paysage d’une société dévastée par les mesures de récession.

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Il paraît de plus en plus évident que le mouvement de la démocratie de notre époque se réduit à l’alternance entre deux courants politiques siamois au sommet de l’État, soumis à une même logique économique. Au Portugal aussi, le fait électoral n’est plus un choix mais un rejet. Aux affaires pendant de longues années, le parti socialiste fut ainsi chassé au profit de son clone de droite, le parti social démocrate. Après avoir appliqué les premières mesures d’austérité dictées par la Troïka en échange du premier prêt de sauvetage2, les socialistes furent confrontés à une contestation inattendue. Le 12 mars 2011, des centaines de milliers de personnes descendaient dans les rues des grandes villes à l’appel d’un collectif informel de jeunes précaires. Paradoxalement, et alors que la passivité sociale est l’un des traits marquants de la société portugaise, le mouvement dit du 12M sera le premier d’une longue liste de mouvements, allant du 15M en Espagne, aux Indignés grecs et israéliens, et aux Américains de Occupy Wall Street. Se démarquant des messes traditionnelles de l’archaïque parti communiste portugais et de sa centrale syndicale, la CGTP, ces manifestations exprimaient une contestation moderne du système, un rejet de la corruption du monde politique, un questionnement sur les conséquences sociales de l’économie de profit et de la nature autoritaire du système représentatif. Contrairement aux autres mouvements de ce type, le 12M fut sans lendemain. Il était marqué par la frustration et la désillusion d’une jeunesse étudiante qui s’accrochait encore à l’idée de la « réussite », caractérisée par le statut social et un niveau de consommation conséquent.

Les mobilisations du 12M annonçaient néanmoins la suite des évènements. Affaibli par des affaires de spéculation et de corruption, abandonné par des centaines de milliers d’électeurs qui avaient rejoint le grand parti des abstentionnistes, le PS ne put éviter la débâcle aux élections. Puis, suivant à la lettre un processus bien rodé en Europe, les nouveaux escrocs arrivés au pouvoir entreprirent de poursuivre dans la même voie. Comme ce fut le cas peu après chez les voisins espagnols, ils mirent les bouchées doubles : un remède de cheval fut imposé à l’ensemble de la société portugaise.

Exception faite de la Grèce, c’est sans doute au Portugal que l’austérité est la plus violente en Europe. Dès le premier train de mesures le gouvernement annonçait la couleur. Dans la fonction publique, on supprimait deux salaires sur l’année3 et deux versements mensuels dans les pensions de retraite. Dans le secteur privé, le temps légal de travail était augmenté d’une demi heure par jour. La TVA était généralisée au taux maximum de 23%. Les transports, le téléphone, les péages d’autoroute, l’eau et l’électricité, subissaient eux des augmentations successives allant jusqu’à 30%. Les impôts sur le logement étaient revus à la hausse, le ticket modérateur dans la santé multiplié par deux. Cerise sur la déconfiture sociale, les nouvelles conditions d’attribution des allocations d’aide aux plus pauvres (RMI local et autres aides sociales) devenaient sélectives et leurs montants étaient réduits.

À peine quelques mois plus tard, début 2012, un deuxième train de mesures s’abattait sur une population abasourdie. Cette fois-ci, c’était le Code du travail qui était « assoupli », comme ils disent… La liste des « joyeusetés » était sans fin : nombre de jours travaillés dans l’année augmenté d’une semaine4, taux de majoration des heures supplémentaires réduit de moitié, licenciement facilité pour les cas d’« inadaptation » au poste de travail5, pénalisation de toute absence collée à un jour férié par le non payement du jour férié, prime de licenciement réduite d’un tiers, droit aux allocations suite à licenciement fortement réduit, conventions collectives par branche ou secteur remplacées par des accords d’entreprise et, enfin, droit de regard de l’Inspection du travail sur les entreprise réduit à la portion congrue. Un train de mesures d’austérité infernal, qui semble s’allonger à chaque jour qui passe…

On imagine aisément les conséquences sociales d’une telle offensive capitaliste dans une des sociétés les plus pauvres d’Europe occidentale, où le niveau de vie était déjà bas et les salaires pas folichons (presque la moitié de ceux de l’Espagne). D’après les statistiques, la croissance actuelle de l’inégalité sociale est l’une des plus élevés d’Europe. Elle avait déjà doublé entre 1996 et 2006. Aujourd’hui, elle augmente cinq fois plus vite que dans le reste de la communauté européenne. Le Portugal est le pays où les mesures d’austérité pèsent le plus sur les plus pauvres. Plus qu’en Grèce et loin devant l’Estonie ou l’Irlande6. Dans le même temps, la concentration de la richesse s’accélère, un processus commencé dans les années 1980. Il s’agit là d’un double mouvement qui suit la tendance générale des sociétés capitalistes contemporaines. Dans le cas spécifique du Portugal, cela correspond à la période démocratique post Révolution des œillets (1974). Encore un argument à prendre en compte dans la réflexion sur le contenu inégalitaire de la démocratie parlementaire moderne7.

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Les premières victimes de la croissance rapide des inégalités et de l’appauvrissement sont les vieux retraités ou pensionnés, les femmes et les jeunes travailleurs, diplômés ou non8. Pour mieux comprendre ce que Gaspalazar appelle « les sacrifices acceptés », il convient de dresser une nouvelle liste : début 2012, le taux de chômage officiel est de 25%, et dépasse déjà les 35% chez les moins de 25 ans. L’effondrement total du secteur du bâtiment et le ralentissement de celui du tourisme, les deux secteurs qui tiraient un tant soit peu la faible économie du pays, jettent tous les mois sur le carreau des dizaines de milliers de nouveaux chômeurs. Les petites entreprises et commerces ferment à un rythme soutenu. À peine la moitié des chômeurs inscrits reçoivent une maigre indemnisation. 60% des jeunes qui travaillent sont en situation de précarité. Près de 400 000 travailleurs (surtout des jeunes et des femmes) reçoivent 400 euros par mois (le salaire minimum) et vivent dans la pauvreté. Dans les zones urbaines, la pauvreté s’accroît exponentiellement. En 2011, sept mille familles ont rendu leurs logements aux banques, incapables de payer leurs crédits. Les organisations caritatives et les soupes populaires sont débordées d’appels à l’aide qui doublent d’année en année.

Pendant ce temps, le secteur bancaire – qui constitue désormais le noyau de la classe capitaliste portugaise – impliqué, comme partout ailleurs, dans la spéculation financière et immobilière avec son cortège de corruptions, continue à être renfloué par l’Etat. « Assaini  », disent-ils…

Certains esprits affligés n’hésitent pas à envisager la disparition à court terme du vieux pays. Logique, en un sens : le nombre de personnes âgées ne cesse de croître alors même que la natalité continue à baisser. Sur dix millions de personnes, deux millions ont plus de 65 ans. Ce qui est visible dans les quartiers populaires des villes l’est encore plus dans l’arrière-pays, peuplé de vieilles personnes. Alors que dans la communauté européenne, 35% des agriculteurs ont en moyenne plus de 65 ans, au Portugal le pourcentage monte à 50%. La moyenne des pensions de retraite étant de 373 euros, beaucoup de retraités continuent de travailler pour survivre. Ceux qui décrochent sont victimes d’une sorte d’euthanasie sociale qui ne dit pas son nom. Abandonnés, isolés, sans moyen pour se déplacer, vivant dans des conditions souvent insalubres, nombreux sont ceux qui disparaissent. Plusieurs faits divers récents, à Lisbonne et à Porto, montrent que les effets de la crise sont pour beaucoup dans la hausse soudaine du taux de mortalité des personnes âgées. Dans le pays profond, la situation est encore plus dramatique. À quelques dizaines de kilomètres de Lisbonne, les centres de santé ferment ou manquent de tout et c’est avec difficulté que quelques médecins, souvent immigrés, soignent une population âgée et démunie. Le docteur Denis Pizhin, Ukrainien, travaille dans le centre de santé de Odemira, petite bourgade située entre l’Alentejo et l’Algarve, dans une des régions répertoriées parmi les plus pauvres de l’Union européenne : un tiers de la population a un revenu de 10 euros par jour9. Denis gagne 15 euros de l’heure, voit 60 à 70 personnes par jour, et c’est souvent qu’il manque de sérum… « Ici c’est l’Afrique ! », déclarait-il récemment au journal Publico 10

Si les vieilles personnes galèrent, les jeunes ne sont pas en reste. Depuis quelques années, plus de 60% des jeunes restent à demeure chez leurs parents. Ou y reviennent. Le mouvement touche même des « jeunes » de trente ou quarante ans condamnés au chômage, qui rappliquent chez les anciens, avec toute la famille. Un étrange pays où les vieux deviennent le soutien d’une jeunesse à la dérive, précarisée, où les vieux sont l’avenir des jeunes !

Quand les jeunes Portugais ne peuvent pas compter sur leurs parents, ils choisissent souvent de fuir le pays. Fin 2011, le gouvernement lui-même admettait que plus de 100 000 personnes avaient émigré dans l’année. Un mouvement déclenché depuis une bonne dizaine d’années et qui ne cesse de s’intensifier — vers l’Europe mais aussi vers les anciennes colonies, l’Angola en particulier. La composition de l’émigration est différente de celle des années 1960. Notamment parce qu’elle touche désormais les jeunes scolarisés, avec une qualification.

Une revue à grand tirage a récemment posé une question à ses lecteurs : « Quelle est la meilleure solution pour faire face à la crise ? ». 56% ont répondu « Moins dépenser  » et 26% « Émigrer  »11. Or, si les grèves générales bureaucratiques lancées par les vieux syndicats se révèlent impuissantes face à la machine implacable des mesures capitalistes, l’émigration, réaction ancestrale à la pauvreté, n’est pas non plus la solution aujourd’hui. Elle pose même un nouveau problème. Car les migrants débarquent dans des sociétés où le marché du travail s’est effondré. Les situations de détresse se généralisent, alors que des familles avec des enfants se retrouvent à vivre dans la rue et finissent par échouer dans les services consulaires débordés. À la violence de la situation vient s’ajouter la dissolution des solidarités de l’ancienne émigration. Des comportements de rejet des nouveaux arrivants se généralisent, et l’on signale des situations de quasi esclavage au profit de « compatriotes » intéressés. Ces horreurs sont quotidiennement décrites dans la presse sans que pour autant le mouvement s’arrête. Car la soif de survie est telle que chacun pense pouvoir se débrouiller tout seul alors que la seule chance serait l’entraide et la lutte collective.

Comme l’Irlande, la Grèce, l’Espagne et bientôt d’autres sociétés européennes, le Portugal paye les pots cassés de la politique économique dominante, dont l’idéologie sous-jacente est celle du capitalisme du « laisser-faire ». Il s’agit, du moins en paroles, de revenir à une intervention minimale de l’Etat dans l’économie. Ces politiques agissent avant tout sur le marché du travail : elles limitent la part du salaire social, réduisent les salaires, augmentent l’intensité du travail, le tout dans le but d’accroître la productivité et d’augmenter la masse du profit. Pour que l’investissement capitaliste retrouve ses marques, il faut restaurer la rentabilité de la production dans son ensemble, modifier le rapport entre la masse de profit et la masse de capital. C’est pourquoi nous assistons à un double processus de dévaluation, celui de la force de travail et celui du capital lui-même. Dans le petit laboratoire portugais, c’est également cet objectif qui guide les actions de Gaspalazar & C°, sous le regard attentif de la Troïka. D’où les faillites, la concentration et la destruction des secteurs les plus faibles du capitalisme local. D’où – également – l’austérité des salaires, l’appauvrissement de la grande majorité de la population. Pourtant, avant que cette politique ne soit mise en œuvre, le coût moyen horaire de la main-d’œuvre était déjà inférieur à la moitié de la moyenne européenne, soit un des plus bas d’Europe12. Faut-il instaurer des formes d’esclavage ou de travail obligatoire pour que les capitalistes trouvent leur compte13 ? L’abattoir de l’austérité tourne à plein régime mais ne change rien à la situation économique : dans ce petit pays constituant une portion réduite du capitalisme européen, de telles mesures de récession ne relancent pas grand chose, il y a peu à relancer. Elles ont pour seul effet de détruire les liens sociaux et d’accentuer les antagonismes de classe. Ainsi que de saper l’ancien modèle démocratique fondé sur le consensus de la croissance qui s’effrite. D’où le continuel rafistolage à l’aide de mesures autoritaires. Le désastre est plus visible dans les sociétés pauvres et fragiles de la périphérie, comme le Portugal. Si bien que des voix critiques commencent à exprimer des doutes sur l’efficacité des « politiques de lutte contre les déficits ». « On est en droit de s’interroger sur le bon sens de cette logique [la rigueur pour sortir du cycle infernal de l’endettement]  » et de « l’overdose de rigueur  » qui ouvre portes et fenêtres à la crise sociale dans les sociétés14.

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Quoi qu’il en soit, Gaspalazar et consorts restent imperméables au doute. Formés dans la Confrérie Druidique du libéralisme, ces personnages suivent béatement l’orthodoxie monétariste du moment. Leur froideur va souvent de pair avec un cynisme de classe. À ce propos, il est instructif de s’attarder brièvement sur une récente interview de deux hauts fonctionnaires du FMI, placés à Lisbonne pour « accompagner » les mesures d’appauvrissement de la population15. Le Brésilien Marques Souto et l’Autrichien Albert Jaeger ont finalement un quotidien banal proche de celui d’un commissaire de police. Sans état d’âme, ils doivent lire les journaux, surveiller ce qui se passe, contrôler Gaspalazar & C°, faire des rapports, informer les chefs du FMI à Washington. Grassement rémunérés, Monsieur Souto et Monsieur Jaeger, sont de bons pères de famille, aiment leurs enfants qui vont dans des écoles privées, vivent dans des beaux quartiers avec vue sur la mer et aiment la bonne chère. Sans craindre l’indécence, ils se sont même laissé aller à des compliments sur la douceur de la vie locale : « à Washington, même si on est proche de l’océan, les fruits de mer et le poisson ne sont pas aussi frais qu’ici  ».

Fin mars 2012, on apprenait qu’allait se tenir à Porto une rencontre sur « Le sommeil, le rêve et la société ». La tentation était grande d’y voir une action d’éclat, fort opportune, des surréalistes portugais16. Las, il ne s’agissait que d’un banal colloque de neurologistes et affinitaires, pas du tout intéressés par le pouvoir subversif et utopique du rêve. Dans une des communications données à cette occasion, une neurologiste « admettait »17 que les difficultés du quotidien, aggravé par les effets de la crise, troublaient le sommeil des Portugais. Selon elle, la moitié de la population dort mal et 20% souffre même d’insomnies à répétition. Les enfants et les jeunes seraient particulièrement touchés par ces troubles du sommeil. Fallait-il un colloque pour en arriver là ? La lecture de ce qui précède suffit amplement pour conclure que la majorité du peuple portugais vit un cauchemar éveillé.

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Ici se pose une question qui en taraude plus d’un : comment et pourquoi une société ainsi attaquée, avec une violence si mortifère, se résigne-t-elle à ce point ? Comment se laisse-t-elle mourir sans résistance, sans réaction ? Miguel de Unamuno écrivait, «  Le Portugal est un peuple de suicides, peut-être un peuple suicidaire. Pour lui la vie n’a pas de sens transcendantal. Certes, il désire vivre, mais pour quoi faire ? Plutôt ne pas vivre.  »18. Un siècle plus tard, malgré les transformations de la société, sa réflexion est toujours d’actualité.

La société portugaise fonctionne en apparence selon les normes du monde moderne. Comme dans toute démocratie représentative, les syndicats existent, opinent, prennent position, sont reconnus et manifestent leurs accords et désaccords. Depuis que le pays est renvoyé vers les abîmes de la récession, les grèves générales se succèdent. Mais ce qui paraissait au début un signe de réveil s’est vite révélé une manifestation supplémentaire d’immobilisme, renforçant même le fatalisme, tant ces cérémonies ternes sont en deçà de la violence de l’attaque capitaliste. En Espagne, lorsque les appareils syndicaux furent forcés d’aller à la grève générale d’un jour le 11 mars 2012, des secteurs enragées de la base syndicale ne se sont pas limités à ne pas travailler mais ont tenté de bloquer l’économie, formant des piquets de grève, bloquant ici et là les centres commerciaux. Dix jours plus tard, au Portugal, la centrale syndicale liée au PCP, la CGTP, programmait elle aussi « sa » grève générale pour protester contre le démantèlement du Code du travail. Pourtant, on ne signala aucun cas de grève active. La manifestation se limita à l’habituel exercice de mobilisation bureaucratique, suivi passivement, bien contrôlé par un appareil qui veut avant tout mesurer sa force pour garder sa capacité d’interlocuteur avec le pouvoir politique. On accepte la grève plus qu’on ne la fait, on reste chez soi et on regarde le match à la télé... L’état amorphe du syndicalisme portugais est à la fois un des facteurs de la passivité sociale et son expression19. Déjà le 24 novembre 2011, lors de la précédente « grève générale », le chef d’alors de la CGTP20 avait exposé à un journaliste son étrange conception de la résistance à l’attaque capitaliste : « Il faut que le peuple se mobilise. Une alternative est possible (…) Le pays est en train de tomber dans le précipice, le gouvernement va nous faire chuter de 50 mètres. Nous voulons limiter l’impact à 20 mètres. »21.

Les grèves à répétition, de moins en moins suivies, traduisent l’incapacité des syndicats à proposer des formes d’action et une dynamique adaptée à la situation nouvelle. Car la crise a redéfini « l’attitude réaliste » et les contours du « possible » qui constituent les paramètres du syndicalisme intégrateur. L’impuissance remplace la pratique des concessions négociées lors des périodes de croissance. Face à la violence de la classe dirigeante, il ne reste alors que la rhétorique incantatoire et vide de sens des slogans de la CGTP : «  Lutter contre l’exploitation !  », «  En finir avec la crise ! », agrémentés de vieux slogans sortis des archives staliniennes : « Le travail, c’est le progrès ! »

Si un nombre important de travailleurs portugais continue de suivre les tristes cortèges syndicaux qui les mènent à l’abattoir, certains ont pris conscience de la nécessité de mener des combats plus offensifs. Le jour qui a précédé la grève générale du 21 mars 2012, le lecteur attentif découvrait dans la presse portugaise qu’une action directe avait été menée en terre de fado. Trois ouvriers (dont un Ukrainien) occupèrent pendant toute une journée les grues d’un chantier routier, afin d’exiger le payement de salaires en retard, cela jusqu’à obtention de satisfaction22. La courte dépêche ajoutait que c’était la deuxième fois qu’une action de ce type se produisait sur le même chantier. Malgré son caractère isolé et ponctuel, le micro événement – victorieux – a le mérite d’offrir une autre direction et de se démarquer des molles protestations bureaucratiques.

L’appareil syndical est conscient de l’impasse dans laquelle il se trouve et craint les débordements. Cela explique son attitude prudente vis-à-vis de la jeunesse précarisée qui donne de la voix. Cet éveil, qui s’est confirmé depuis la grande mobilisation du M12 de mars 2011, constitue sans doute l’élément le plus prometteur des dernières années au Portugal. À Porto, Lisbonne ou Setubal, des centres sociaux, lieux de débats et d’activités se sont ouverts. Les anciennes traditions d’association, d’entraide et de vie communautaire ont refait surface. Et les activités collectives autogérées, les lieux de vie et d’échange ainsi que les jardins partagés se multiplient.

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Au sein de cette jeunesse précaire, le fort courant d’émigration crée des contacts et des liens. Avec Barcelone, Amsterdam, Zurich, Londres. Un milieu éclaté cherche à l’unisson une façon de vivre hors de l’atmosphère mortifère de la société, et devient un pôle d’attraction pour la jeunesse révoltée. L’école occupée d’Alto da Fontinha à Porto en est devenu le symbole.

Ces dernières années, un bloc anti-capitaliste a fait son apparition dans la rue lors des manifestations, regroupant de petits groupes libertaires et radicaux, des groupes de précaires et des isolés se réclamant du mouvement des Indignés. Cernée par une police aux aguets, cette jeunesse radicalisée doit aussi faire face au service d’ordre syndical qui cherche continuellement à protéger « ses manifestants » de la contagion des jeunes radicaux. Chaque fois qu’une vitrine d’agence bancaire vole en éclats, la classe dirigeante ne manque pas de faire l’éloge des manifestations de la CGTP qui «  se déroulent tranquillement et avec sens civique. »23. Un mur a ainsi été bâti à la hâte entre un vieux monde syndical impuissant devant les défis du moment et cette jeunesse enragée contre un présent sans avenir. Au Portugal, peut-être encore plus qu’ailleurs, la fracture entre deux conceptions de lutte apparaît avant tout comme une barrière générationnelle. Il faudra probablement un mouvement plus large pour briser cette séparation, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour. Mais les surprises viennent souvent de là où on ne les attendait plus. Pour preuve, une déclaration du jeune centenaire et réalisateur Manuel de Oliveira, annonçant sa décision de rejoindre - après un long intermezzo plutôt conservateur - le camp de la subversion, « L’argent a remplacé toutes les valeurs. Je pense qu’on devrait le supprimer, ainsi que les banques. Avez-vous remarqué que lorsque les choses sont gratuites, les gens ne prennent que ce dont ils ont besoin ? »24.

L’anesthésie de l’aliénation marchande du système démocratique née de la révolution de 197425 et le rôle joué par le syndicalisme bureaucratique ainsi que par les partis dans la domestication des esprits peut expliquer, en partie, l’énigme de la résignation et de la passivité du peuple portugais face à l’attaque capitaliste qui menace l’existence même de pans entiers de la société. D’autres hypothèses sont avancées. On a beau les suivre, les unes et les autres se révèlent à chaque fois incomplètes, insatisfaisantes. Le recours à l’Histoire, enfin, est une aide précieuse mais qui ne permet pas de tout saisir. Peurs, craintes, attitudes de soumission et de fatalité, respect sacré de l’autorité et de la hiérarchie traversent ainsi le temps, imprègnent les comportements. Et l’idée conformiste selon laquelle, il vaut mieux courber l’échine et baisser la tête pour survivre, est devenue une deuxième nature du peuple portugais26 étouffant les aspirations libertaires qui avaient été partagées, un court laps de temps27, avec les autres frères ibériques.

Lorsque, le 25 avril 2012, une manifestation de deux mille jeunes et moins jeunes, a de nouveau investi et occupé les lieux de l’école Alto da Fontinha, à Porto, quelque chose de nouveau et d’important s’est produit dans la société portugaise. Pour la première fois depuis des années, une manifestation d’individus consciemment concernés a rompu avec la passivité et la résignation, a rejeté les limites du légalisme, du possible et du raisonnable, pour affirmer un désir et revendiquer une nécessité : celle d’agir directement et de façon autonome pour construire un projet, pour rompre avec le pessimisme et la morbidité, pour affirmer un autre possible. « Le projet de Fontinha a crée une opportunité pour une pratique intégrale de la démocratie, refusant que notre sort soit laissé dans les mains du patron et de l’Etat, ou soit livré aux appétits des plus riches. »28. En agissant au cours de ce jour particulier, les manifestants ont renoué le lien avec l’esprit révolutionnaire du passé, ses valeurs égalitaires et anti-autoritaires. Tout aussi important, avec le sens pratique de l’idée d’occupation, cette action est en résonance avec les mouvements du présent, partout où se radicalise l’opposition aux effets de la crise. « Il y a autour de nous beaucoup de maisons vides. Et il y a aussi beaucoup de monde dans la précarité, dans la misère. On ne peut pas l’accepter. Cette passivité ne peut pas continuer. Il faut que les gens occupent les maisons  »29. Ce propos d’une jeune manifestante à Porto, fait écho à ceux des Occupy de New York et d’Oakland, à ceux des comités contre les expulsions à Madrid ou à Athènes.

Seuls des actes et des événements tournés vers une cause en devenir peuvent faire bouger les contours du possible. C’est par leur pouvoir de persuasion que la résignation portugaise sera niée, fissurée.

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 12:29

lu sur Bellaciao Dans les années1977- 78il n'y avait pas seulement radio Alice qui combattait au côté des révolutionnaires italiens. En ce jour dramatique de l'attentat aveugle contre des lycéennes et des lycéens. La stratégie de la tension l'état italien renoue avec ses pratiques criminelles contre les mouvements sociaux. Camarades et ami du blog du laboratoire analysez les réalités transalpines avec un discernement loin des codes imposés par la  presse financépar le groupeBolloré( le journal le monde )et aussicelui financé par le groupe Rotchild et d'anne Lauvergeon (  journal libération). Tous les deuxont mis un article sur l'attaque de l'ingénieurdu  nucléaire à Gênes.Nous au collectif  Laboratoire restons au côté des révolté-e-scontre toutes les Maffias

Histoire > Italie > Roberto Ferrario

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L’histoire de "Les Cent pas"

Années 60. Peppino Impastato, jeune garçon issu d’une famille étroitement liée à la mafia, vit à Cinisi, une bourgade sicilienne. Sa maison se situe à cent pas de la demeure de Tano Badalamenti, le parrain local. Son père espère faire de lui un personnage influent de la pègre. Mais en grandissant, Peppino devient un adolescent rebelle et idéaliste. Bientôt attiré par le communisme, il s’emploie à lutter ouvertement contre les pratiques de la mafia, mettant ainsi sa vie en péril...

En 1965, il fonde le journal "L’idea Socialista" et adhère au PSIUP "Parti socialiste Italien de l’unité prolétaire". Â partir de 1968, il dirige les activités des groupes de la Nuova Sinistra ("Nouvelle Gauche"). Il dirige également la lutte des paysans expropriés lors de la construction de la 3e piste de l’aéroport de Palerme (sur le territoire de Cinisi). Il milite également en faveur des ouvriers et des chômeurs.

En 1975 il forme le groupe Musica e cultura qui organise des manifestations culturelles : musique, théâtre, débats, etc. En 1976, il crée Radio Aut, une radio indépendante et auto-financée. Le programme le plus suivi était Onda pazza (traduisible par "Ondes en folie") émission satirique dans laquelle il tournait en dérision politiques et mafieux. Sur ces ondes, il dénonce les délits et les affaires des mafieux de Cinisi et Terrasini, en particulier du "parrain" local Gaetano Badalamenti. Ce dernier avait un rôle de tout premier ordre dans les trafics internationaux de drogue (grâce à sa main mise sur l’aéroport tout proche). Malgré tout, Peppino et ses amis étaient considérés comme les vrais empêcheurs de tourner en rond par les autorités de la ville...

En 1978, il est candidat sur la liste de "Democrazia Proletaria" aux élections municipales. Il fut assassiné dans la nuit du 8 au 9 mai 1978, pendant la campagne électorale. Il a été attaché sur une voie ferrée et une une charge de TNT a été placée sous son corps. Deux jours plus tard, les électeurs de Cinisi l’élisent quand même.

Mise en scène : Marco Tullio Giordana
Acteurs : Luigi Lo Cascio, Paolo Briguglia, Lucia Sardo, Luigi Maria Burruano, Tony Sperandeo, Ninni Bruschetta
Production : Titti Film - RAI Cinema Spa
Distribution : Bac Film

Souvenons-nous de Peppino Impastato, 30 ans après sa disparition





Souvenons-nous de Peppino Impastato, 30 ans après sa disparition

de Francesco Barilli "Ecomancina"

Le 9 mai 1978, l’Italie est secouée par un des évènements les plus dramatiques de son histoire. Le corps de Monsieur Aldo Moro (personnage pour le moins central de la vie politique italienne, à l’époque président de la Démocratie Chrétienne) est retrouvé à Rome, via Caetani, tué par les Brigades Rouges, après 55 jours de détention.

Face à une nouvelle aussi éclatante, tout autre évènement passe au second plan. Et c’est ainsi que bien peu s’aperçurent de la mort d’un jeune de trente ans dont les malheureux restes furent trouvés, dans la nuit du 8 au 9 mai, déchirés par une charge de T.N.T. déposée sur la voie ferrée entre Palerme et Trapani.

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Ce jeune, c’était Giuseppe "Peppino" Impastato, né à Cinisi, le 5 janvier 1948, figure "dérangeante" du panorama politique de Cinisi (province de Palerme), engagé, depuis des années, en première ligne de la lutte contre les abus et les spéculations à caractère mafieux qui empoisonnaient la vie de son village.

Dans un premier temps, les enquêtes allèrent dans le sens d’un attentat terroriste raté ou d’un suicide "exhibitionniste". Ce n’est que grâce au fort engagement de son frère Giovanni et de sa mère Félicia, de ses camarades de Radio Aut et du Centre Sicilien de Documentation (qui prit d’ailleurs, par la suite, le nom de Peppino Impastato) que l’on parvint lentement et avec beaucoup trop d’années de retard à la vérité.

Peppino fut tué par la mafia qui trouvait désormais intolérables les attaques du jeune homme contre l’organisation (qui,justement ces années-là, cherchait à développer ses activités de trafic en les adaptant à une réalité qui se transformait, en Sicile aussi, avec l’abandon d’un modèle économique strictement rural) et qui probablement trouvait inacceptable que Peppino puisse être élu au Conseil Municipal de Cinisi aux toutes prochaines élections (le 14 mai, Peppino fut élu symboliquement avec 264 voix d’avance et le parti "Démocratie Prolétaire", sur la liste duquel il s’était présenté, obtint 6% des voix à Cinisi).

Salvo Vitale (un des plus fidèles amis de Peppino, en plus d’être son camarade dans les expériences de lutte à travers la communication, de la diffusion de tracts aux "meetings", de la constitution du "Cercle musique et culture" au journal "L’idée") a écrit sur le site de radio Aut " Le fait que l’on n’ait pas retrouvé la moindre miette de sa tête fait penser qu’ils lui ont même enfoncé un bâton de dynamite dans la bouche, pour dire qu’il avait trop parlé".

Je n’ai pas été instruit à "lire" les signes mafieux mais je pense que d’autres facteurs que celui évoqué, à juste titre, par Savo déterminèrent la brutalité particulière de l’assassinat de Peppino. Pour les "étrangers", la mise en scène servait sûrement à porter sur une fausse piste, celle des hypothèses mentionnées ci-dessus d’attentat/ suicide. Pour ceux qui surent comprendre dés le début l’origine mafieuse de l’assassinat ce geste devait être aussi une incitation au silence, mais encore plus un avertissement : Peppino devait être non seulement tué, non seulement brutalisé, mais aussi effacé de la surface de la terre. Il fallait aller jusqu’à effacer les traces mêmes de son existence physique. Heureusement, cela ne se passa pas ainsi et cet article, lui aussi, veut contribuer à maintenir en vie sa mémoire.

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La figure de Peppino Impastato

 

 

Engagé en première ligne, ai-je dit plus haut ; mais il faut préciser que l’engagement de Peppino était une chose totalement nouvelle pour l’époque en ce qu’il savait conjuguer sa dimension personnelle et la dimension politique.

Il était physiquement menu mais doué d’une énorme énergie et d’une incroyable vivacité intellectuelle ; un conflit émotif complexe entra probablement en jeu dans sa formation idéologique : sa rébellion était à la fois politique, générationnelle et familiale. Son père Luigi (figure douloureuse, tracée avec un grand art par Marco Tullio Giordana dans le film "I cento passi" ; impliqué dans le milieu mafieux de Cinisi, il chercha, à sa façon, tant qu’il fut en vie,à protéger son fils des mesures de rétorsion mafieuses) avait été l’ami de Gaetano Badalamenti et une des sœurs de Luigi avait épousé Cesare Manzella,le boss tué en 1963 ; et, de façon plus générale, toute la famille Impastato avait dans son propre ADN de lourdes influences mafieuses.

Mais l’histoire de Peppino en est d’au tant plus importante : c’est l’histoire d’un homme qui a su défier la mafia, en commençant par celle qui se trouvait dans sa propre maison.

La rupture idéologique avec son père advint alors que Peppino était encore un tout jeune homme et dés 1968, il participa activement aux initiatives de la gauche alternative de l’époque. Il adhéra à la lutte des paysans qui s’étaient fait exproprier de leurs terres pour la construction de la troisième piste de l’aéroport, constitua le groupe "Musique et Culture" (1975) et, en 1976, fonda "Radio Aut" (expérience intéressante de radio libre, assez courante à l’époque, où se conjuguaient l’exigence de rupture culturelle et la recherche d’un mode nouveau - pour l’époque - de véhiculer l’engagement politique). Puis l’activité avec "Lotta Continua" et, comme on l’a dit, avec "Démocratie Prolétaire".

Pour en revenir à Radio Aut, un des programmes qui eut le plus de succès (et qui "ennuyait" le plus les cercles mafieux de Cinisi) était "Onda pazza" (onde folle), une sorte de flash hebdomadaire d’information, satirique, où Peppino et ses amis plongeaient la réalité de Cinisi dans une atmosphère qui frôlait l’absurde mais où les noms et les faits étaient bien reconnaissables, pour qui les connaissait ;Gaetano Badalamenti devenait ainsi "Tano assis" et le maire Gero di Stefano devenait Geronimo Stefanini, grand chef de "Mafiopoli" (Cinisi, évidemment). Un des plus beaux et des plus forts moments de "I Cento Passi" met en scène Peppino qui, pour décocher ses flêches sur les "puissants" de Cinisi, adapte librement des passages de l’Enfer de Dante, tandis que le cinéaste nous montre les différentes réactions du public d’"Onda pazza" : d’un côté, les gens amusés qui s’entassent dans les bars autour d’une petite radio, de l’autre côté les boss du village, écoutant avec la même attention mais dans un esprit bien différent, préoccupés par cette voix qu’il faut arrêter...

En consultant le site de Radio Aut, j’ai découvert que la parodie inspirée de l’Enfer de Dante avait été retransmise le 3 mars 1978. A partir de ce jour et jusqu’à sa mort, les émissions de "Onda pazza" furent une impressionnante progression de Peppino qui démolissait d’un éclat de rire (comme le voulait un vieux slogan, jadis patrimoine historique de la gauche) spéculateurs, administrateurs et personnages haut placés de Cinisi, sans épargner personne, avec pour seule arme, l’ironie lucide (une "arme" que Peppino fut le premier à utiliser contre la mafia).

La figure de Peppino Impastato apparaît aujourd’hui d’une incroyable actualité, 30 ans aprés sa mort. Dans une période où tout était "politique", Peppino savait conjuguer l’engagement politico-social et une tension morale vers la construction d’un "monde nouveau", d’un "homme nouveau", d’une "nouvelle manière" de vivre et d’envisager l’engagement. Et, en cela, ses valeurs (à la fois politiques et transcendant la politique) me semblent pouvoir être rapprochées de celles de l’actuel "Mouvement" et l’on peut considérer sa figure comme celle d’un précurseur de certaines formes de lutte et de protestation.

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Les enquêtes

Comme on l’a déjà dit plus haut, les enquêtes sur la mort de Peppino furent au début perverties par la tentative évidente de ne pas vouloir reconnaître l’origine mafieuse de l’assassinat. En 1984, grâce au travail du juge d’instruction Rocco Chinnici (tué en juillet 1983), le juge Antonio Caponnetto reconnut l’origine mafieuse de l’assassinat mais ne réussit pas à vérifier la culpabilité des exécuteurs ou des mandataires, attribuant l’acte à des inconnus.

 

 

En 1994, le Centre Impastato demanda et obtint la réouverture de l’enquête. Cette demande fut soutenue non seulement par une pétition populaire mais aussi par un exposé de la mère et du frère de Peppino, Felicia Bartolotto et Giovanni Impastato (où ils demandent que l’on enquête également sur l’attitude des carabiniers immédiatement après les faits).

 

C’est une histoire typiquement italienne celle du procès Impastato, faite de silences coupables et d’orientations vers de fausses pistes, mais c’est au moins une histoire où la famille et les amis de la victime ont pu obtenir satisfaction : le 11 avril 2002, le boss mafieux Gaetano Badalamenti a été condamné à la détention à perpétuité, en tant que mandataire de l’assassinat. Auparavant avait été condamné Vito Palazzolo (disparu en 2002), lui aussi comme mandataire. Et à l’occasion de ces sentences, la famille Impastato a également reçu la reconnaissance tardive du fait que les premières enquêtes avaient été perverties. Le juge assesseur Angelo Pellino écrivit en effet, dans la sentence de condamnation de Vito Palazzolo, que sur les enquêtes "pèse l’intolérable soupçon d’une orientation systématique vers de fausses pistes ou, en tout cas, d’une façon de les mener (ces enquêtes) pervertie par une déconcertante accumulation d’omissions, de négligences, de retards associés à des choix d’enquête préconçus qui en auraient altéré la direction et le développement".

Mais s’il est vrai que les années ont apporté quelques satisfactions tardives, il est vrai aussi que de nouvelles amertumes n’ont pas épargné la famille Impastato. Comme lorsque l’Administration Communale de Isnello (province de Palerme)fit enlever la plaque commémorative de la place dédiée à Peppino, apposée en 1998 (cette fois-là, plusieurs intellectuels italiens s’étaient manifestés pour protester ainsi que diverses personnes appartenant à des familles de victime de la mafia ; j’en cite quelques uns dans le désordre : Rita Borsellino, Marta Fiore Borsellino, Nando Dalla Chiesa, Pina Maisano Grassi, Dario Fo et Franca Rame, Andrea Camilleri, Gillo Pontecorvo, Ettore Scola... et je m’excuse auprés de tous ceux, nombreux, que j’ai oublié de citer). Ou encore, quand, lors du récent procès à charge de Badalamenti et Palazzolo pour l’assassinat de Peppino, le collège de la défense dépoussiéra à nouveau la théorie de l’attentat terroriste comme cause de la mort...




ciuri di campu (tributo a peppino impastato)

 le 19 05/2012 nous ajoutons un post du blog bella ciao à cet article

Ore 13

Brindisi Sembra proprio un episodio di strategia della tensione da mettere in rapporto alle stragi di Piazza Fontana, dell’Italicus, della stazione di Bologna. Una strage di servizi segreti che agiscono in combutta e con la copertura di servizi stranieri. Una strage di figli del popolo allo scopo di farlo ammutolire di spavento mentre i carnefici del liberismo Euro-atlantico lo spogliano di ogni diritto. No, non credo proprio che sia una strage mafiosa,.





La voce di Peppino su "Radio Aut"

"La cretina commedia"

Parte 1 - Parte 2 - Parte 3 - Parte 4

"Commissione elettorale"

Parte 1 - Parte 2 - Parte 3 - Parte 4 - Parte 5 - Parte 6 - Parte 7 - Parte 8

"Sagra della ricotta"

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 07:42

lu sur le blog article XI la violence politique évacué, caché.

Et pourtant, la « culture », telle qu’elle est développée dans nos démocraties contemporaines, est loin d’être un instrument d’émancipation. C’est en tout cas l’opinion d’Alain Brossat, auteur du « Grand dégoût culturel ». Entretien.

S’il y a une notion que se plaît à défendre – avec tambours et trompettes – l’ensemble des acteurs et décideurs de la démocratie française contemporaine, c’est bien celle de culture. À droite, à gauche, dans les colonnes des hebdomadaires de la gauche molle ou dans celles des quotidiens de la droite dure, le refrain est le même : la culture (vaste entité molle jamais réellement définie) est par définition positive, porteuse d’espoir, de changement, d’amélioration. Il en faudrait toujours plus, partout, tout le temps. Si bien qu’on n’interroge finalement très peu cette idée de « tout-culturel » et ses répercussions sociales ou politiques. Œillères. Comme l’écrit Alain Brossat : « Les préjugés qui nous portent à voir la culture comme un domaine élevé et une instance salvatrice sont si puissants qu’on conçoit difficilement que la culture est désormais bel et bien enraciné au cœur des dispositifs biopolitiques. »

Avec Le Grand dégoût culturel, publié en 2008 (Le Seuil), le philosophe Alain Brossat jetait un pavé affuté dans le marigot culturel. Il y pointait les contradictions de nos démocraties contemporaines gavées de culture ainsi que la servitude béate de citoyens dépossédés de toute réelle implication dans le champ politique. Alors que pseudo-intellectuels, politiques, bureaucrates cultureux et médiacrates pompeux se rengorgent d’aise en clamant qu’ils sont au service de la Sainte Culture – jurisprudence Lang –, les processus de dépossession politique se généralisent et le sujet immunisé se replie sur un quotidien consensuel mais irréel. Longtemps posée comme instrument d’émancipation, la culture serait désormais largement au service du pouvoir. Rencontré dans un café de la porte des Lilas, Alain Brossat a accepté de revenir sur les éléments clé de son livre, avant d’élargir les problématiques soulevées1. Entretien.

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La digestion des oppositions

« Le Grand dégoût culturel est un livre qui a relativement bien marché en librairie, une chose qui ne m’arrive pas souvent. Il a eu tout de suite un papier dans Télérama et ça a contribué à le propulser dans le milieu des industries culturelles, auprès des gens même qu’il dénonce. Parce que s’il prenait totalement à revers les cultureux, il leur parlait aussi de choses qu’ils rencontrent tous les jours dans leur métier, d’éléments de malaise qu’ils ressentent à l’occasion. Il a donc bénéficié d’un certain bouche à l’oreille dans ces milieux, sur un mode très ambivalent.

Ce n’est pas si paradoxal : aujourd’hui, la culture fonctionne en digérant les oppositions, les négatifs. Les gens qui baignent dans ces milieux peuvent tout assimiler, ce sont des estomacs d’autruche. Et ce n’est pas ma dénonciation en règle du « tout-culturel » qui risque de les déstabiliser. Tant qu’on ne leur coupe pas les crédits, ils se fichent d’être traînés dans la boue. D’autant qu’ils ne demandent qu’à s’afficher comme les plus séditieux, les plus subversifs ; au moins en façade...

Bref, ce livre les intéresse parce qu’il leur donne du grain à moudre sur leurs propres contradictions. Évidemment, cette réception marche sur des simplifications. Comme quand ces gens se penchent sur les situationnistes, qu’ils citent à tort et à travers. Ou sur tout autre écrit subversif. Je pense par exemple aux personnes animant la revue culturelle Cassandre qui ont tenu à faire un entretien avec moi, alors même qu’ils sont installés au cœur du dispositif mis en place par Lang, nourri aux subventions et aux niches culturelles : j’ai aligné ce genre de personnages dans le livre, mais ils tiennent quand même à présenter mes positions. »

La culture comme valeur suprême

« Il y a un consensus autour de la culture : ce serait une notion inattaquable, parce que forcément progressiste. C’est cet unanimisme que j’ai voulu casser dans Le Grand Dégoût culturel. Et c’est sûrement pour ça que le livre a aussi intéressé des gens qui avaient l’habitude de se reposer dans ce bain d’eau tiède, dans cette conviction que la culture nous éduque, nous civilise et nous sauvera.

Il y a eu par le passé des périodes où la culture était en mesure de soutenir des possibilités massives d’émancipation. Je prends souvent l’exemple du personnage de Jacques le fataliste chez Diderot ou celui de Figaro chez Beaumarchais : ce sont des gens auto-éduqués qui sortent de leur condition de valet parce qu’ils ont lu des livres et qui renvoient leur maître dans les cordes. Rancière a beaucoup travaillé sur cette question au-delà de l’approche fictionnelle, notamment sur la formation d’une intelligence ouvrière autodidacte, tournée vers l’émancipation. Cette intelligence permettait aux ouvriers de penser les conditions de l’égalité avec leurs propres termes.

Il s’est effectivement produit, dans certains moments historiques, une synergie entre la culture et une politique tournée vers l’émancipation. Mais c’est une illusion de penser qu’il s’agit d’une caractéristique intrinsèque de la culture, qu’elle la porte à tout moment, structurellement. Quand on entre dans le temps des industries culturelles, de l’étatisation de la culture, cela disparaît totalement. A fortiori après 1981 et la vague Lang ; là, la culture devient une espèce d’étendue liquide qui n’a plus aucun bord : tout est culture. La culture devient alors un moyen de gouvernement parmi d’autres.

Cela va même plus loin : dès qu’on entre dans le monde de la culture, on est pris par un dispositif de séparation entre des producteurs et des consommateurs. Même quand il y a volonté de casser l’élitisme de la culture, ces barrières restent. Par exemple, dans le cadre de la « démocratisation de la culture », on amène des cars de banlieusards au Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Ce sont des gens modestes, des ouvriers, etc. Pourquoi pas ? Sauf qu’une fois la culture arrachée à son public bourgeois traditionnel, on considère que le contrat est rempli. Mais non. Pour que quelque chose change, pour que les objets de l’art entrent dans des synergies politiques, il ne suffit pas d’élargir le public.
Tant que demeure ce jeu de partition entre des créateurs ou des producteurs culturels et un public qui consomme, il subsiste une barrière. C’est pour ça qu’il faut penser les conditions d’une appropriation de l’art par les sujets eux-mêmes, mettre en avant le devenir artiste de chacun. Une autre paire de manches ! C’est quelque chose que l’on voit apparaître dans tous les événements émancipateurs. Même une simple grève avec occupation suffit à en créer les conditions : les gens commencent à fabriquer des trucs, à organiser eux-mêmes... Quand la communauté émerge, il y a des chances nouvelles pour l’art. Ce sont des dynamiques où les gens s’inventent d’autres profils sans même s’en rendre compte. Il se crée des cassures du temps ordinaire, des moments d’interruption. Et c’est dans ces brèches qu’on peut engouffrer des pratiques permettant de trouver des lignes de fuite.

Pour moi, évidemment – c’est une question de génération –, Mai 68 correspond au moment exemplaire de ce processus. Il s’invente alors spontanément une poésie de la rue : elle s’écrit sur les murs, dans les tracts, les affiches, etc. Rien d’étonnant à ce que le situationnisme ait trouvé sa pleine prospérité dans cette constellation Mai 68 : il s’était justement installé à la jointure de pratiques politiques et artistiques radicales. »

Les sujets immunisés

« Je crois qu’il est très difficile de changer les conditions générales de la politique aujourd’hui. Parce qu’elles sont liées à la fabrication en masse de sujet immunisés qui ont de moins en moins envie de s’exposer. Or, faire de la politique, c’est s’exposer.

Ce n’est pas seulement la question de l’État, des mécanismes du pouvoir. Il y a vraiment un problème dans la relation entre les gouvernants et les gouvernés. Aujourd’hui, tout va dans le sens d’une rétraction des possibilités d’émancipation des sujets. Et la culture joue un rôle fondamental dans ce processus, parce qu’elle est l’une des enveloppes les plus efficaces des sujets immunisés.

Il existe en fait toutes sortes d’enveloppes : sanitaires, sécuritaires... et culturelles. Ces dernières sont d’une redoutable efficacité. L’enveloppe culturelle ordinaire devient une espèce de sac fermé qu’on transporte partout avec soi. Par exemple, on peut traverser une ville sans avoir entendu un bruit, sans avoir croisé un regard, sans avoir aucune expérience de cet espace urbain. Le sujet se replie sur lui même, avec ses prothèses – le téléphone portable, le lecteur MP3 – dans lesquelles il se déplace comme dans une bulle.

Il est certain que la technique contribue à ce mouvement, via divers dispositifs. L’innovation est devenue mortifère, elle participe à la domestication. Mais ce n’est pas la technique en elle-même qui est responsable, c’est l’appareillage. Se fabrique ainsi une humanité sous cellophane, qui a horreur du contact, qui est toujours dans le simulacre social.
Ce qui pose réellement question, c’est l’extraordinaire vivacité et acharnement de ceux qui travaillent constamment à capter ces dispositifs technologiques, voire à les susciter pour en faire le pire usage. Le discours flaubertien des années 1960 sur la bêtise de la bourgeoisie a fait son temps. Parce que les dominants ont fait preuve d’une impressionnante constance dans la capacité d’innover pour toujours rebondir, se redresser, avoir un coup d’avance. Ce qui passe par une maîtrise de la technique. Il n’y a qu’Internet pour échapper un peu à cette mise en coupe ; mais ça ne devrait pas durer. »

Dépression politique collective

« On ne peut évidemment désigner une période donnée comme précisément celle où la sphère culturelle l’emporte sur la sphère politique : il y a eu des superpositions, une stratification de différentes durées. Mais le basculement qui se produit pendant les années Mitterrand est fondamental. C’est un moment essentiel dans l’histoire politique de la France contemporaine, notamment parce que l’arrivée de la gauche au pouvoir se produit sur un malentendu : une partie des populations populaires pense que ça va vraiment transformer la société. Sauf que non : on entre dans une période interminable, quatorze ans de règne, où seule l’enveloppe change. Pire, la situation se dégrade : tout se met à fonctionner aux illusions perdues, au leurre, ce qui crée une véritable dépression politique collective. C’est là que disparaissent les formes politiques traditionnelles où le politique se pensait encore sous la forme de la conflictualité. Avec les deux septennats Mitterrand, les lignes de partage se brouillent et la société fait un grand pas en avant vers la démocratie culturelle : tout se vaut, les positions politiques ne comptent plus. Un moment très fort de destruction de la politique.

Ceux qui se réjouissent aujourd’hui en clamant « Enfin, on va se débarrasser de Sarko » n’ont pas seulement la mémoire courte : ils sont au degré zéro de réflexion sur l’évolution plus ou moins récente de la politique. Un tel degré de connerie me semble hallucinant. Quand j’entends les gens dire « Ah maintenant avec Hollande, ça va, tout va bien se passer »... Mais le mal est fait !
Quand j’ai lu l’édito du numéro pré-élections de la revue Vacarme, « Occupons le vote », j’étais atterré. Que des gens que je considérais jusqu’alors comme estimables, Sophie Wahnich par exemple, tombent là-dedans, appellent au vote utile, et le fassent avec une telle agressivité comme si ceux qui ne se plient pas à ce faux réalisme étaient des ennemis de l’humanité – ça me stupéfie. Car ça signifie qu’on est toujours dans cette espèce de spirale qui n’en finit jamais, cette adaptation continuelle à la dégradation. Ce qui m’a sidéré dans ce texte est aussi cette espèce de morgue contre les gens qui se posent la question de ne pas voter. Il n’y a plus d’espace de débat : c’est comme ça et pas autrement. Sur cette question, il suffit de dire « Attention, c’est un peu plus compliqué  », et tout de suite on te catalogue comme sentant le souffre, comme un furieux. »

La pauvreté du débat public

« Je suis frappé par l’appauvrissement des conditions de la discussion publique. Et ça concerne tous les sujets qui fâchent, pas seulement le vote : ce qui touche à Israël et à la supposée question juive, ce qui porte l’étiquette de terrorisme, l’Islam et le voile, etc. Sur le voile, le paradigme Caroline Fourest est par exemple très intéressant : il montre à quel point les cartes se brouillent. On voit des hyper-réactionnaires, dont la xénophobie est patente, conserver une image de penseurs de gauche qui vont à contre-courant. Ils accaparent cette posture de l’intellectuel courageux alors qu’ils constituent évidemment le mainstream. De ce point de vue, il y a une marée montante de la confusion dans les débats d’idées, avec une criminalisation de tout ce qui ne transige pas. Sur la question palestinienne, la propension à vous mettre à l’écart, voire plus, se manifeste dès que l’on se montre intransigeant. Autre exemple : si vous expliquez que le « problème » nucléaire iranien tient en grande partie au fait qu’Israël veut conserver son monopole nucléaire dans la région, on vous taxera d’antisémitisme.

La dégradation des conditions du débat est vraiment patente, avec un spectre des positions acceptables qui se rétrécit. Il y a des effets d’agglomération, d’agglutinement : un certain nombre de différences sont tolérées à condition qu’elles soient subsidiaires. À l’image des pseudo engueulades entre politiques ou entre journalistes : ils peuvent parfois se jeter des anathèmes ou se déchirer en surface tant qu’ils demeurent homogènes sur le fond. Ils s’entendent ainsi sur le fait que la politique se fait aux conditions de l’État, que quiconque prononce le mot « peuple » est un populiste. Un simulacre de débat.

La culture est un liant dans ce processus, un coagulant. Elle donne le ton, crée le style. Et la culturisation du débat politique prospère sans fin. Par exemple, quand on passe sur France Culture d’une émission censée être politique avec Colombani et Casanova à une émission culturelle, on sent bien qu’il y a pas de déclivité entre les deux : c’est le même ton, le même dispositif, le même ronron. Et c’est normal : dans les politiques d’immunisation du vivant ayant cours aujourd’hui, la politique est considérée comme un espace dangereux, qu’il faut anesthésier. »

L’entité culture

« On ne peut pas définir la culture par énumération, parce qu’il est impossible d’en dresser un tableau exhaustif. Il y a tous les jours des nouveaux objets qui pénètrent la sphère culturelle. À mes yeux, il ne faut pas faire de hiérarchie entre ces objets. C’est là que je suis en opposition avec l’école de Francfort qui rétablissait les hiérarchies entre culture valable et décadente. Sur le cinéma hollywoodien, sur le jazz, les tenants de cette école avaient une approche très superficielle, ne comprenaient la multiplicité des niveaux des signes et des messages. C’est la limite de ce qu’Adorno et Horkheimer nous ont légué.

Mais aujourd’hui, nous vivons le contraire de la hiérarchie. La culture est devenu un monde d’immanence, horizontal, où tout peut s’échanger, tout est équivalent. Ce n’est pas un hasard si un des peintres les plus chers dans les salles de vente est Basquiat, quelqu’un qui a passé son temps à paraphraser les arts de la rue.

N’importe plus que la façon dont cette culture se déploie dans ses rapports avec les sujets. Elle enveloppe collectivement la population, et avec des dispositifs qui diffèrent des dispositifs sanitaires ou sécuritaires. Il y a là une forme de pastorat spécifique, un mode d’encadrement, de domestication. La culture est très utile pour désamorcer les tensions.

Il ne faut pas regarder uniquement les objets, la marchandise, mais également la façon dont sont mises en forme des vies, des subjectivités. D’autant que cette marchandise culturelle a fonction de remplir les vies à une époque où le travail et la famille ne suffisent plus à le faire. La biopolitique a horreur du vide, et la culture remédie à ce problème. Quand on assoit les gens au théâtre ou au cinéma, il y a peu de chances pour que ça se transforme en émeute... »

Le contrôle par la saturation

« On pense souvent le contrôle total sur l’humain par rapport à la rareté de la culture, comme dans 1984. Nous subissons en réalité le contraire : un temps d’absolue profusion de la culture.

Nous tombons aujourd’hui dans la culture dès la naissance et nous n’en sortons plus jamais. Les gens et les groupes sont toujours accompagnés par toutes sortes d’objets culturels, de rumeurs culturelles. Le nœud est là, pas dans une sorte de rareté de la culture. Ce n’est certainement pas en prônant une conception hiérarchique qu’on va avancer, par exemple en se battant contre la télé trash et pour Arte. C’est une question de structure, de dispositif. La télévision engourdit, même si c’est à des degrés différents. Ceux qui ont les moyens – les cultivés – regardent Arte ; ils sont juste des consommateurs plus éclairés. Comme les gens qui achètent leurs légumes bio... Tant qu’on ne se réapproprie pas les médias, en en cassant les dispositifs actuels, en brisant les monopoles et la verticalité dans le rapport émission/réception, le mécanisme reste le même. »

L’horizon de l’autonomie

« La ligne à suivre est celle de l’autonomie. Il faut que les sujets éprouvent une capacité à devenir eux-mêmes producteurs de cultures, de discours, d’informations, de pratiques, d’actions... C’est dans ces conditions que les choses changent. Et ça peut très bien commencer par une démarche à la marge, par exemple par la création d’une petite radio locale associative.

Mais tout est fait pour que cette autonomie n’émerge pas. On veut bien que vous soyez intelligent pour être un bon agent, pour que vous compreniez que vous devez faire attention aux conduites sexuelles à risque, pour que subissiez à partir d’une certain âge tous les tests pour le cancer du colon ; cette forme d’intelligence immunisée/immunisante est encouragée. Par contre, celles qui tendent à éloigner du système de guidage et de surveillance sont rapidement pénalisées, comme on l’a vu avec les SEL, les Services d’Échanges Libres, des systèmes de troc qui se sont surtout développés dans les zones rurales, du type «  j’échange un cours de philo contre une intervention du plombier »... Cette initiative collective a immédiatement été interdite en tant que travail au noir, emploi illégal. Alors qu’elle pouvait faire tâche d’huile et s’avérer importante pour les gens qui ont peu de revenus.

L’autonomie se valide par la pratique, ce n’est pas une notion condamnée aux beaux discours. C’est une forme d’expérimentation qui n’est pas forcément glorieuse ni spectaculaire. Il faut d’ailleurs se battre contre cette obsession de notre époque pour la visibilité : ce n’est pas grave de ne pas être très visible. Ce qui importe, c’est ce qu’on fait et avec qui on le fait. C’est particulièrement malaisé dans les milieux intellectuels, où la concurrence à la notoriété est très forte. Avec des amis, nous avons crée une association de philo qui s’appelle « Ici et ailleurs, pour une philosophie nomade », avec laquelle on expérimente des pratiques non universitaires de la philo : des débats, des rencontres, des sorties hors des structures habituelles. Ça nous permet de rompre avec certaines habitudes tout en constituant une expérience de la communauté. Tant pis si c’est minime, il faut essayer.

Ce qui est vraiment fatal, c’est de se dire que tout est plié, de se convaincre qu’il y aurait une perfection de la biopolitique qui nous envelopperait totalement et nous enlèverait toute possibilité de réaction. Prendre les choses ainsi tient à une forme de paresse, de capitulation. Il y a un confort dans cette posture passive, qu’on retrouve souvent chez les gens de ma génération qui ont vécu les grands possibles des années 1960. Et elle est encore plus choquante chez des gens qui bénéficient d’un certain confort. »

La violence en politique

« Dans Les Nouveaux chiens de garde, ce bon film de critique des médias, il y a une séquence intéressante dans laquelle le délégué des Contis, Xavier Mathieu, répond à Pujadas. Là, le masque s’effondre. On voit bien le présentateur tomber dans l’injonction à dire que toute forme de violence, même matérielle, est une chose criminelle : il tente de forcer Mathieu à désavouer les dégâts matériels. Et il y a une certaine jubilation à observer ce dernier l’envoyer balader. C’est très dur de résister à un dispositif télévisé de ce genre. Normalement, ça n’arrive jamais.

C’est très symbolique. Nous subissons un état des choses où toute association d’énergie politique à un moment violent est immanquablement criminalisée. Nous endurons une politique très immunitaire, qui fait tout pour faire disparaître les corps : là où il y a des corps, il y a toujours un risque de violence. Voilà pourquoi la politique se fait de plus en plus sur Internet, ou sur un mode complètement grégaire, à l’image de ce que sont devenus les meetings électoraux. Il n’y a pas si longtemps, les meetings étaient des moments de tension. De même qu’il y avait des bastons et des morts autour des collages d’affiches ; des gens restaient sur le tapis. Pendant les élections, il y avait un climat tendu, une forme d’affrontement. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, ou alors à la marge. Il ne se passe rien, en fait.

On voit également de plus en plus de mouvements, type indignados, qui se disent fondés sur la colère et l’indignation, mais qui ont intégré ce refus de la violence. C’est étonnant. Ils se posent à eux-mêmes des limites, chassent ceux qui sont considérés comme violents.
Cet interdit a pénétré très profondément la plupart des milieux sociaux. Voilà pourquoi la violence politique se trouve circonscrite à quelques endroits localisés, par exemple les cités. Seule cette plèbe reste inflammable. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle est si facile à criminaliser. D’abord parce qu’elle est localisable, et ensuite parce qu’il est aisé de lui coller les stigmates de la barbarie, ce qu’on a vu avec les émeutes de 2005. On considère que ceux là sont violents parce que mal civilisés. Mais je suis convaincu que si on voit réapparaître un niveau de conflictualité suffisamment élevé, ce bouchon va sauter ailleurs que dans les cités. Il y a toujours un moment où le rapport de force est à nu et où quelque chose fait basculer la situation. La pacification des mœurs politiques n’est pas un vaccin infaillible contre le retour de la politique vive. »

 

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17 mai 2012 4 17 /05 /mai /2012 15:23

photo de la libération de deux  activistes No TAVproches des communistes autonomes.          antonio continue à ce jour sa grève de la faim pour:

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